dimanche 23 août 2009

RABIATOU SERA DIALLO, SYNDICALISTE GUINEE: «Les militaires m’ont persécutée!»NNE

C’est une femme de conviction. Et quand elle parle, elle ne mâche pas ses mots. La syndicaliste guinéenne, Rabiatou Sera Diallo, est formelle: «Il faut que le président Daddis Camara écoute le cri du peuple s’il veut permettre à la Guinée de sortir de sa grande misère. La suite du processus dépend des forces vives. Si nous disons non, c’est non!»

«Le Reporter»: Le capitaine Moussa Dadis Camara est-il, selon vous, l’homme de la situation?

Rabiatou Sera Diallo: Puisqu’il est encore au pouvoir et qu’il a le pouvoir, il faut dialoguer avec lui pour que nous puissions avoir une transition paisible et apaisée pour tous les Guinéens.

Vous lui avez fait à ce sujet des propositions. Avez-vous le sentiment qu’il vous écoute?

Oui. Récemment par exemple, il nous a convoqués au Palais du peuple afin que nous puissions discuter du chronogramme de transition. Les leaders syndicaux n’ont pas voulu répondre à l’invitation parce que le lieu n’était pas approprié. Il a trouvé un autre lieu au camp pour recevoir les forces vives de la nation. A cette rencontre, nous avons insisté sur la nécessité de créer un comité ad’hoc qui fera des propositions afin que nous puissions ensuite voir ensemble leur faisabilité. Il s’agit de déceler les entraves au processus de transition et trouver des solutions alternatives. Le capitaine Dadis Camara a adhéré à cela. Tout comme il avait adhéré au chronogramme qui avait été proposé par les forces vives. Le président manifeste une bonne volonté. Il a d’ailleurs débloqué, après la rencontre avec les forces vives, 15 milliards de francs CFA pour permettre à la Commission électorale de continuer l’opération d’enrôlement. C’est un pas important à ne pas négliger.

Vous ne regrettez donc pas que des militaires aient pris le pouvoir?

Si les militaires avaient accepté de nous accompagner et de nous soutenir, ils auraient pris le pouvoir depuis 2006. L’Etat était complètement à terre. Mais il n’y avait pas de leader politique à la hauteur de la situation, donc susceptible de prendre le pouvoir. Les syndicats ont fait un énorme travail. Si à l’époque, les militaires avaient soutenu la population au lieu de tirer sur les manifestants ou de défendre un individu (le président Conté), ils auraient certainement pris le pouvoir.
Dans ce processus de lutte sous haute tension, vous avez été, dit-on, persécutée. Parlez-nous-en…
J’ai d’abord été persécutée au moment où Conté était au pouvoir. Les militaires sont venus brûler trois fois ma plantation et ont tout détruit. Ils ont aussi détruit mes biens à domicile. Ils ont saccagé mes véhicules et tout ce qu’ils ont trouvé d’important. Cette fois encore, un contingent de militaires est venu perquisitionner chez moi au village sous prétexte qu’ils recherchaient des enfants qui ont été enlevés pour de la drogue. Cela m’a énormément surprise parce que je n’ai rien à voir dans cette affaire. J’ai personnellement lutté contre les réseaux de trafiquants de drogue. Je m’évertue aussi à m’occuper d’enfants orphelins et démunis. Franchement, je ne vois pas quel intérêt j’ai à enlever des jeunes filles et à les cacher. De plus, le lieu où l’enlèvement a eu lieu se trouvait à plus de 35 km de mon domicile. Pour moi, c’était une simple intimidation, parce que j’aime toujours dire que parmi les militaires, certains ont les mains sales, et que les cimetières sont pleins de personnes indispensables. J’ai aussi dit qu’il faut écouter le cri du peuple et écouter ses misères si l’on veut permettre à la Guinée de sortir de sa grande misère.

Justement, à ce propos, des militaires ont tiré sur des manifestants lorsque vous avez intensifié le mouvement de protestation en 2006 et 2007. Y a-t-il actuellement une tendance à faire la lumière sur ce sombre épisode de l’histoire de la Guinée?

Le chronogramme actuel ne peut pas régler ce problème. Cela se fera mais pas avec les militaires au pouvoir. Ils sont directement concernés par les événements de 2006 et 2007. Nous n’accepterons pas qu’ils soient juge et partie. Il faut des gens neutres, notamment une Assemblée démocratiquement élue, un président démocratiquement élu pour faire la lumière sur cette situation. Pour ne pas s’éterniser sur cette question et dans le souci de faire avancer la transition, nous avons estimé que ce dossier pouvait être ouvert après les élections.

La transition suppose qu’il y ait des partis politiques d’opposition suffisamment forts en termes de responsabilité. Pourquoi, en Guinée, les partis d’opposition sont-ils si faibles?

Le parti au pouvoir a pendant longtemps œuvré à affaiblir les partis de l’opposition. On les traquait, on les empêchait de se réunir et ils n’avaient pas les moyens requis pour vraiment s’imposer. Le parti au pouvoir usait de la corruption pour atteindre ses objectifs. Mais aujourd’hui, il est en déconfiture. Tout le monde l’a quitté; certains ont même créé des partis politiques; d’autres ont rejoint des partis qui existaient déjà. Cela signifie qu’ils n’étaient pas là par conviction mais pour défendre un intérêt personnel.

Lorsque vous jetez un regard critique sur la situation actuelle, vous qui connaissez les mécanismes de fonctionnement de l’Etat et les hommes qui dirigent la Guinée, avez-vous le sentiment que le capitaine Dadis Camara partira au terme de la transition?

Tout cela dépendra des forces vives. C’est tout le peuple qui est engagé dans le processus. Et si nous disons non, c’est non. Récemment, Dadis a nommé l’ancien président de la Cour suprême aux affaires politiques et sociales; mais quand la population a dit non, il a reculé et a annulé sa décision. Tout dépend donc de la décision du peuple.

Qu’avez-vous, à l’heure actuelle, envie de dire au Président Dadis Camara?

Qu’il écoute le cri de son peuple!

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK

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