dimanche 23 août 2009

MAUVAISE GESTION AU MEBA: Sur la piste des milliards à problèmes

L’ex-ministre de l’Enseignement de base, Mathieu Ouédraogo, doit être toujours en train de cogiter sur ce qui lui est arrivé en 2005. Les choses sont allées vite, très vite. Acte 1: le cabinet d’audits «Deloite et Touch» donne un coup de pied dans la fourmilière du Bureau des Projets Education. Il révèle «des irrégularités d’un montant de 10 447 427 176 FCFA». Acte 2: les bailleurs de fonds tapent du poing sur la table. Ils demandent à être remboursés. Acte 3: Le ministre Mathieu Ouédraogo est «éjecté» du gouvernement. Le porte-parole de l’Exécutif tente de masquer l’affaire. Il passe à la télé et parle plutôt d’un «remaniement technique» afin d’assurer la collégialité au sein du gouvernement. Acte 4: Juin 2007. Le Premier ministre, Tertius Zongo, décide d’y voir clair. Le nouveau ministre de l’Enseignement de base, Odile Bonkoungou, lui adresse une lettre confidentielle. Elle demande que «les contrats des comptables fautifs soient suspendus et que les responsables impliqués soient relevés de leur fonction». Mais elle a prêché dans le désert.

15 juin 2007. La lettre confidentielle du ministre Odile Bonkoungou atterrit sur la table du Premier ministre Tertius Zongo. Elle révèle une «pagaille financière» dans le secteur de l’Education de base. Dépenses inéligibles, avances non justifiées, préfinancements non autorisés, écritures non régularisées… «Les conclusions de l’audit ont révélé des irrégularités d’un montant de 10 447 427 176 FCFA», affirme Odile Bonkoungou. Les bailleurs de fonds se sont du coup sentis floués. Et à juste titre: l’argent qu’ils croyaient avoir injecté dans le secteur de l’éducation, a changé de destination. Il s’est réfugié dans les poches de certains individus ou groupe d’individus sans scrupule. Le gouvernement, coincé dans cette affaire, s’est battu bec et ongles pour sauver la face. Il fallait rembourser pour éviter que les bailleurs de fonds ferment définitivement leur «robinet financier». Selon Odile Bonkoungou, le Burkina a remboursé au Royaume des Pays-Bas, 82 563 083 FCFA au titre des dépenses irrégulières. Madame le ministre a ensuite donné instruction pour un travail de vérification. Mais là, ce n’est pas le cabinet d’audits «Deloitte et Touch» qui a procédé aux contrôles. Odile Bonkoungou a demandé aux structures de son département de s’en charger. Ainsi, les dépenses irrégulières révélées par le cabinet d’audits ont dégringolé. Les 10 447 427 176 FCFA ont été ramenées à un solde de 3 390 529 319 FCFA. Voici les détails: avances aux Directions centrales non justifiées: 318 116 819 FCFA; avances aux Directions provinciales de l’enseignement de base et de l’alphabétisation: 3 071 862 500 FCFA.
Mais le ministre ne s’est pas arrêté là: «Suite à ce travail interne, j’ai commandité un audit complémentaire en vue de certifier les travaux réalisés par mes services. A ce jour, le cabinet Deloitte et Touch commis à cette tâche a déposé ses travaux provisoires avec les conclusions suivantes: montant total des dépenses irrégulières: 1 150 499 333 FCFA. Dépenses inéligibles: 155 118 542 FCFA; dépenses non justifiées: 588 277 718 FCFA; avances aux Directions centrales: 402 954 417 FCFA; préfinancements non autorisés: 4 148 606 FCFA».
La ministre tente ensuite de consoler les bailleurs de fonds. Elle leur transmet un rapport contenant les nouveaux chiffres. Mais ils sont très prudents. Ils refusent d’accepter la «gestion chaotique» que certains membres du MEBA ont fait de l’argent de leurs contribuables. Le climat est tendu entre les deux parties. Odile Bonkoungou en parle dans sa lettre confidentielle: «Les bailleurs de fonds conditionnent la poursuite de leur financement au PDDEB par les deux principales actions suivantes: que le gouvernement rembourse les sommes injustifiées et que des sanctions soient prises à l’encontre des fautifs avérés». Elle fait aussi une terrible révélation: «A cette situation, il faut ajouter le cas du Fonds de l’édition dont le montant des écritures non régularisées s’élève à 1 141 053 740 FCFA. Ce fonds est constitué des recettes issues de la vente des manuels scolaires».
Et voici Odile Bonkoungou qui sort ses griffes: «Le déblocage des fonds par les partenaires techniques et financiers étant lié à cette situation, les responsabilités devront être situées afin que les auteurs soient punis à la hauteur de leur forfait pour éviter de compromettre l’exécution de cet ambitieux programme pour notre pays». Elle annonce ainsi quatre mesures énergiques: «Procéder à la suspension des contrats des comptables fautifs, relever de leurs fonctions les responsables impliqués, renforcer les capacités de toutes les personnes impliquées directement dans la gestion des fonds à travers des sessions de formation ciblées, mettre en place une équipe de contrôle pour procéder au suivi et au contrôle régulier des structures bénéficiaires de fonds». Les deux derniers points sont en marche. Mais les «comptables fautifs» et les «responsables impliqués» dans cette sale affaire baignent toujours dans l’impunité.
Pourtant, en jetant un coup d’œil dans le rétroviseur, on se rend compte que ces individus ont «sucé» dangereusement l’Etat pendant plusieurs années. Comme de grosses sangsues fermement décidées à vider le corps de l’Education de base de son sang. Et ils ont réussi à faire d’énormes dégâts.
Illustration. 9 août 2005. Le PDG de «Deloitte et Touch Burkina», Salif Ouédraogo, adresse une note au Chef du Service de coopération de l’Ambassade des Pays-Bas. Dans la grosse enveloppe, se trouve une synthèse du rapport d’audit. Les phrases qui y figurent sont très lourdes de sens. Le Plan décennal de développement de l’Education de base (PDDEB) a du plomb dans l’aile. Morceaux choisis: «Les dépenses non justifiées de 100 277 083 FCFA relevés à l’audit au 15 mars 2003, n’ont toujours pas été justifiés et le reliquat de trésorerie est désormais de 74 870 672 FCFA (46 920 139 FCFA pour le Fonds canadien d’appui logé à la SGBB et 27 950 533 FCFA pour le Fonds d’appui néerlandais logé à la BOA». Voici la suite: «Une partie des dépenses non justifiées de 73 781 631 FCFA relevée à l’audit au 31 décembre 2003 a été justifiée entre le 1er janvier 2004 et le 31 mars 2005. Il s’agit d’un montant total de 30 081 638 FCFA. Il reste un reliquat à justifier de 43 699 993 FCFA au 31 mars 2005. Les dépenses non éligibles relevées à l’audit au 31 décembre 2003, pour 17 052 698 FCFA n’ont pas été justifiées ni remboursées». Et ce n’est pas tout: «Nos contrôles sur la période allant du 1er janvier 2004 au 31 mars 2005, ont relevé de nombreuses anomalies pouvant entacher la régularité et la sincérité des comptes». Il y a aussi ce constat digne d’intérêt: «Exécution du PDDEB dans les Directions Provinciales de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation au 31 décembre 2004 et au 31 mars 2005. Nous avons constaté que la comptabilité tenue dans plus de 55% des DPEBA n’est pas régulière».
Certains comptables ont feinté les auditeurs du cabinet Deloitte et Touch. Ils ont bel et bien été informés de la date des contrôles. Mais sentant venir le danger, ils ont déserté leur lieu de travail. Les comptables des DPEBA du Bazèga (Kombissiri), du Ziro (Sapouy), du Namentenga (Boulsa), du Gourma (Fada N’Gourma), de l’Oudalan (Gorom-Gorom), du Yatenga (Ouahigouya), du Zondoma (Gourcy) étaient «portés disparus». Pas seulement eux. Plusieurs autres se sont livrés à ce jeu de cache-cache. Certains se sont permis de puiser d’énormes sommes d’argent dans les caisses de l’Etat en toute impunité. Le ministre Bonkoungou a fait le point au Premier ministre depuis le 15 juin 2007. Mais les «voleurs» de la République n’ont toujours pas été sanctionnés.

Hervé D’AFRICK

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La phase II du PDDEB coûtera plus de 616 milliards de FCFA

2008-2010. La phase II du Plan décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB) coûtera 616 389 480 000 FCFA. Cette somme sera injectée dans trois niveaux d’enseignement. Education de base: 513 617 960 000 FCFA; post-primaire: 62 674 242 000 FCFA; pré-scolaire: 40 235 000 000 FCFA. Certains bailleurs de fonds ont délié le cordon de la bourse. Mais avec beaucoup de prudence. Le gouvernement doit encore prospecter, dans l’espoir de rassembler tous les fonds. L’enjeu est de taille. Et les ambitions énormes: «améliorer la qualité, la pertinence et l’efficacité de l’éducation de base, développer la cohérence et l’intégration entre les différents niveaux et formules d’éducation de base. Il s’agit aussi de porter le taux d’achèvement de 36% en 2006-2007 à 52% en 2010 et le taux brut de scolarisation du primaire à 78% et 40% pour l’alphabétisation. 34% pour le secondaire et 4,3% pour le préscolaire». Pourvu que l’argent soit bien géré et que certains ne confondent pas leurs poches avec celles de l’Etat. Pour cela, il faut un mécanisme de contrôle efficace et efficient. Et que le gouvernement se résolve à sanctionner «les comptables fautifs» et les «responsables impliqués» dans les ténébreuses affaires…

Hervé D’AFRICK

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Mathieu Ouédraogo a-t-il trempé dans cette affaire?
Selon plusieurs sources, son «éjection» du gouvernement serait liée à la mauvaise gestion des fonds destinés à l’éducation de base. Même si le porte-parole de l’Exécutif a préféré parler à l’époque de «remaniement technique» visant à assurer la collégialité au sein de l’équipe gouvernementale. Rien cependant ne permet, à l’heure actuelle, de dire que le ministre Mathieu Ouédraogo a trempé dans cette affaire. Et comme la justice n’a pas été saisie, on ne saura peut-être jamais ce qui s’est réellement passé. Mais la manière dont il a quitté le gouvernement est assez étrange. Soit il a lui aussi «trempé sa langue dans la soupe», soit il a été victime d’un règlement de compte politique. Ou peut-être a-t-il endossé, en tant que ministre de tutelle, les fautes commises par certains de ses collaborateurs. Bref, il y a trop de flou dans cette affaire. La lumière a du mal à percer les ténèbres. Et les interrogations, multiples et multiformes, continuent de rechercher des réponses pour le moment introuvables. Peut-être qu’un jour, la justice dira le droit, rien que le droit.
Hervé D’AFRICK

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