dimanche 23 août 2009

FELIX COMPAORE, MAIRE REVOQUE DE KOUBRI: «Je n’ai jamais touché à l’argent»

Lotissement à Koubri? Non! Le maire révoqué de cette commune rurale, Félix Compaoré, affirme qu’il n’y en a jamais eu sous son mandat. Il affirme aussi n’avoir jamais détourné de l’argent. Des dépenses ont été faites et les justificatifs, dit-il, sont disponibles. Le bourgmestre déclare aussi avoir tenté en vain d’obtenir auprès du ministre, le rapport final de l’Inspection technique concernant la gestion de sa commune. Et il affirme qu’il y a plus grave: «Pour arriver à leurs fins, ils ont semé la discorde au sein de ma famille»

Le Reporter: Le Conseil des ministres vous a révoqué pour «fautes graves de gestion». De quoi s’agit-t-il exactement?

Félix Compaoré: J’ai été surpris de la décision du Conseil des ministres. L’Inspection technique est venue trois fois à Koubri. La première fois, j’étais malade. Les deux autres fois, j’ai pu voir les inspecteurs. J’ai ensuite reçu un rapport concernant la première et la deuxième mission. L’inspection m’a fait des recommandations que j’ai appliquées à près de 98%. J’ai ensuite envoyé l’état d’exécution de ces recommandations au ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Concernant la troisième mission qu’ils ont qualifiée de «mission d’investigation complémentaire», je n’ai pas encore reçu le rapport.

Vous n’avez donc pas connaissance du contenu du rapport final de la mission d’investigation?

Je n’en ai pas du tout connaissance. J’ai même demandé à plusieurs reprises une audience au ministre afin d’obtenir le rapport final de l’inspection technique et savoir ce qu’on me reprochait exactement. Mais aucune audience ne m’a été accordée. C’est bien après que le ministre m’a écrit pour me dire que je n’ai pas commandité cette troisième mission, donc les résultats ne pouvaient pas être portés à ma connaissance. Cela m’a beaucoup étonné. Jusqu’à ce que je sois révoqué, je n’ai pas obtenu ce fameux rapport.
Comment expliquez-vous le fait que le ministre refuse de vous recevoir. Y avait-il un problème préalable?
Au contraire! Depuis que ces vagues d’investigations ont démarré suite à l’instigation d’un conseiller CDP puis d’autres qui se sont associés pour, disent-ils, dénoncer ma gestion, j’ai suivi pas à pas les travaux de l’inspection. Je sentais qu’une machination se préparait mais j’ai toujours cru que le ministre ferait la part des choses afin de savoir la réalité. A chaque fois que l’inspection venait et repartait, j’adressais une correspondance au ministre pour le tenir informé de la manière dont le travail s’était déroulé et souvent aussi de mes inquiétudes face à ce que j’avais observé. Franchement, je n’avais pas d’a priori envers le ministre. Je suis donc étonné que le ministre refuse de me recevoir.

Des fonds récoltés dans le cadre du recensement auraient été déposés sur un compte puis retirés. Mais on ne sait pas ce qu’est devenu cet argent…

Lorsque l’Inspection est arrivée, elle s’est rendu compte que nous avions utilisé environ cinq millions de francs CFA pour des dépenses concernant le fonctionnement de la commune. Elle a rejeté les justificatifs concernant 4 millions de FCFA. Ce sont pourtant des actifs qui sont visibles au niveau de la mairie. Nous avons expliqué cela à l’inspection, documents à l’appui. Mais par la suite, cette dernière ne m’a rien dit jusqu’à ce que j’apprenne que j’ai été révoqué.

On vous accuse d’avoir collecté par ci et par là, des justificatifs pour présenter à l’Inspection…

Le travail de maire est un travail bénévole. Lorsque je finis de faire mon travail au niveau de la mairie, je m’en vais. Il y a une administration locale qui gère les différentes dépenses. Ce n’est pas moi qui fais les dépenses. Je ne vois donc pas pourquoi on prétend que j’ai collecté des justificatifs par ci et par là pour présenter à l’inspection technique. Si la mission d’inspection est réellement venue dans le but de faire du bon travail, elle devrait dire au ministre dans quelle atmosphère le travail se fait au niveau de la mairie. Je n’ai jamais touché à l’argent. C’est remis à qui de droit pour faire les dépenses nécessaire et envoyer les justificatifs.

Ces dépenses ont-elles suivi les normes requises?

A ce niveau, je reconnais qu’il y a eu certaines insuffisances. A notre arrivée à la mairie, il n’y a pas eu de formation de la part du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Les autorités de tutelle aimaient nous dire de prendre des initiatives pour que ça marche. Personnellement, j’ignorais certaines règles et procédures. C’est quand l’Inspection est venue que j’ai compris que le fait d’utiliser des recettes pour faire directement des dépenses n’était pas normal, même si nous prenons toujours le soin d’exiger des justificatifs. Nous aurions dû verser directement les recettes au Trésor et faire ensuite des mandats pour récupérer de l’argent afin de faire des dépenses. Mais l’administration que j’avais sur place au départ n’était pas du tout étoffée. Il n’y avait pas de comptable. J’étais avec un Secrétaire général qui venait de sortir de l’école, plus une secrétaire. J’avais sollicité le service de bénévoles pour faire certains travaux. Il y a eu des moments où nous avons effectué des dépenses urgentes. Pour éviter de trop faire traîner certaines demandes, nous avons été obligé de prendre de l’argent pour faire des dépenses quitte à régulariser après. D’ailleurs, à l’arrivée de l’Inspection, nous avions régularisé une bonne partie. Toutes les pièces justificatives existent.

Vous maintenez donc que l’argent n’a pas été détourné?

L’argent n’a pas été détourné. Nous avons les justificatifs des dépenses que nous avons faites et les actifs sont visibles au niveau de la mairie. Il n’y a pas eu de détournement.
Le lotissement à Koubri aurait aussi été émaillé d’irrégularités…
Contrairement à ce qu’affirment les mauvaises langues, nous n’avons pas commencé de lotissement à Koubri. Il y a eu en septembre 2008, un recensement dans les quartiers périphériques. Nous n’avons pas pu terminer ce recensement. Le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation l’a suspendu. Nous avions recensé, au moment de la suspension, un peu plus de six mille habitants. Chaque personne recensée devait payer 1500 FCFA. Une somme d’un peu plus de 8 millions de francs CFA a été intégralement reversée au Trésor. J’ai plusieurs fois écrit au ministre pour savoir si on pouvait reprendre l’opération de recensement mais je n’ai reçu aucune réponse. En réalité, il n’y a jamais eu de lotissement à Koubri.

Qu’avez-vous envie de dire de plus?

Je déplore la manière dont les gens ont géré politiquement cette affaire. Pour arriver à leurs fins, ils ont semé la discorde totale au sein de ma famille. Même si le rouleau compresseur devait m’avaler, c’est malsain d’avoir créé cette division entre moi et mes frères. Je voudrais lancer un appel aux plus hautes autorités de ce pays afin qu’elles voient de près comment le sort de certaines communes rurales est décidé. Je sais que je ne suis pas seul dans cette situation. D’autres maires risquent de subir injustement le même sort. Ce serait dommage pour la «communalisation intégrale» que souhaite le gouvernement. Il faut plutôt encourager les maires à travailler au lieu de chercher à les vilipender à tout prix.

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK

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CLEMENT SAWADOGO, MINISTRE DE L’ADMINISTRATION TERRITORIALE

«Il y a eu détournement de fonds»

Le Reporter: Pourquoi avez-vous révoqué le maire de Koubri?

Clément Sawadogo: Il s’est rendu coupable de fautes graves de gestion. Dans le cadre des opérations de lotissement, des souscriptions sont ouvertes au grand public. Ceux qui souhaitent avoir une parcelle doivent faire un versement à la caisse. Et un reçu doit leur être délivré. Une vingtaine de carnets de reçus ont été utilisés à cet effet. Les sommes doivent être versées dans des comptes ouverts pour cela au niveau de la mairie. Concernant Koubri, un compte dénommé «Fonds pour le développement de la commune de Koubri» a été ouvert dans une caisse populaire de la ville. Mais entre temps, un conseiller du CDP (le parti au pouvoir, NDLR) a écrit au ministère pour dénoncer des abus. Nous avons commis l’Inspection technique des services pour aller jeter un coup d’œil. Cette dernière s’est rendue compte qu’il y avait beaucoup de problèmes. Le conseil municipal était bloqué et ne tenait plus de session. Au niveau de la gestion, il y avait un désordre total. Même le lotissement n’avait pas été encadré par les textes qu’il fallait. Nous avons donc suspendu l’opération de lotissement afin d’y voir clair. Il y a eu plusieurs missions d’inspection. Il y a eu d’abord un pré-rapport; ensuite un rapport d’étape qui a été transmis au maire pour lui permettre de réagir aux questionnements qui y sont contenus. Il y a eu par la suite, un deuxième rapport qui était censé conclure la mission. Mais nous avons eu besoin de préciser certaines choses. D’où la nécessité d’envoyer une autre mission sur le terrain. Au total, sur les 20 carnets qui comportaient les sommes encaissées, trois n’ont pas été retrouvés jusqu’à ce jour. La responsabilité de cette gestion est du domaine du maire. Normalement, toutes ces sommes devraient être versées au Trésor. La somme totale collectée sans les trois carnets disparus, c’est 17 076 095 FCFA. 5 770 420 FCFA ont été déposés à la Caisse populaire, 7 977 355 FCFA ont été reversés au budget communal et 3 328 820 francs n’ont été reversés ni au budget communal, ni à la caisse populaire. Les 5 770 420 FCFA ont été entre temps ressortis du compte. Mais quand le maire a été interpellé par le Haut-commissaire suite à la dénonciation du conseiller, il lui a répondu par écrit pour dire que le compte en question n’a pas été mouvementé. Il a affirmé que quand le préfet lui a cédé le compte, il y avait la somme de 646 150 FCFA. Les 5 770 420 FCFA ont été déposés dans ce compte puis retirés par la suite. Mais le maire prétend qu’il n’en a rien été. Il y a donc eu une intention de dissimuler la somme. Nous avons donc retenu ce montant comme étant un montant détourné. Nous avons des informations attestant que le maire a contacté la responsable de la caisse populaire pour lui dire de tout faire pour éclipser les écritures. Mais l’inspection avait déjà saisi le carnet du compte à la mairie.


Pourquoi avez-vous refusé de transmettre au maire le rapport définitif pour qu’il puisse savoir exactement ce qui lui est reproché afin de réagir?
La maire a connaissance des faits dont je vous parle et s’en est expliqué à la mission d’inspection, oralement et par écrit.

Le rapport qui lui a été transmis est un rapport partiel. Il ne s’agit pas du rapport définitif…

Il n’y a pas de rapport partiel. Le principe est que si on vous reproche de quelque chose, que vous ayez la possibilité de vous expliquer. Le maire a eu la possibilité de s’expliquer. La mission est repartie à Koubri, non pas pour d’autres éléments mais parce qu’elle avait besoin de préciser ses investigations sur certains points. Le maire n’avait pas besoin du document final. La mission n’y a ajouté aucun élément nouveau. Ce sont des rapports de l’administration. Nous ne sommes pas tenu de les lui envoyer.

Le maire s’est probablement dit que la troisième mission d’investigation a apporté d’autres éléments dont il n’a pas connaissance…
Non. La troisième mission n’a apporté aucun élément nouveau. Comme le maire a menti sur les 5 770 420 FCFA, la mission a simplement voulu savoir ce qu’il en a fait. Il s’est mis à produire des pièces tous azimuts. La mission s’est rendue compte que c’était une arnaque. La dépense publique doit être justifiée par un acte de commande, un contrat de marché, il faut un bordereau de livraison, l’acte de paiement à l’intéressé est constaté, il y a un mandat et un reçu de paiement, etc. Mais tout cela n’existait pas. Il a plutôt collectionné des factures de gauche à droite pour justifier les dépenses. Cela n’était pas recevable. La mission a tout simplement constaté que c’était une vaste pagaille et qu’elle ne pouvait pas retenir de tels documents.

L’article 272 du Code général des collectivités territoriales vous donnait la possibilité de le suspendre en attendant que justice soit faite sur cette affaire. Pourquoi avez-vous plutôt décidé d’utiliser la méthode forte, en le révoquant?

Ici, la faute est grave et elle est établie de manière indiscutable. Si nous avions besoin de poursuivre les investigations pour pouvoir clarifier la situation et aboutir à des conclusions définitives, nous aurions pu le suspendre. La présence de la personne concernée peut brouiller les pistes. Mais étant donné que l’investigation a été poursuivie jusqu’à terme, et que nous avons des éléments fermes, la suspension ne saurait s’expliquer. Si vous le suspendez pas et que la Justice met deux ans pour délibérer, comment voulez-vous qu’on gère la commune? La loi dit qu’on peut suspendre, tout comme on peut révoquer en cas de détournement. Les cas de détournement peuvent être établis par une inspection. En ce moment-là, la loi dit de révoquer au lieu de suspendre.

Et si, par la suite, le maire révoqué est déclaré non coupable?

Si la Justice dit le contraire, il peut effectivement avoir un problème. Mais l’administration, elle, a pris ses responsabilités pour protéger le service public. Il y a aussi une disposition du code général des collectivités territoriales qui dit que lorsque le maire est l’objet d’une poursuite en justice devant un tribunal répressif, c’est un motif de révocation. L’esprit du code n’est pas d’attendre que la Justice tranche avant de sanctionner.

Vos décisions semblent être à géométrie variable. L’arrondissement de Boulmiougou par exemple a apparemment plus de problèmes que Koubri mais vous ne dites rien. Pourquoi une telle attitude?
Ceux qui parlent de Boulmiougou se réfèrent à une situation de gestion un peu explosive du lotissement dans cet arrondissement. Il faut faire la part des choses entre deux types de situation. Si vous gérez un lotissement, il y a toujours une crise sociale qui accompagne ce lotissement. A Boulmiougou, certains habitants menacent de couper les routes pour obtenir des parcelles. Mais ce n’est pas forcément parce que les parcelles ont été détournées. Certains avaient eu des parcelles qu’ils ont vendues et sont ensuite venus se réinstaller, espérant avoir d’autres parcelles. Les maires ont des problèmes réels de gestion du nombre insuffisant de parcelles par rapport à une population extrêmement concentrée et dont le nombre de postulants est ingérable.

Il y a aussi de fortes rumeurs de détournement à Boulmiougou. Beaucoup ne comprennent pas votre silence face à cette situation…

Il y a des cas où la responsabilité personnelle de ceux qui gèrent peut être engagée. C’est le cas des détournements. Si le maire trempe ses moustaches dans les souscriptions faites par les populations, là, c’est une faute grave. C’est ce qui s’est passé à Saaba et à Koubri. Si, aujourd’hui, nous avons des preuves qu’à Boulmiougou c’est le même cas, la même sanction sera prise contre le maire.


Pourtant, les plaintes sont fréquentes là-bas. Pourquoi, au lieu d’attendre qu’on vous envoie des indices, vous n’êtes pas, jusque-là, allé fouiner dans cet arrondissement et dans bien d’autres?

Ne vous en faites pas! Nous allons fouiner. C’est une question de programmation. Si aujourd’hui quelqu’un nous envoie des indices plausibles, nous allons y envoyer l’inspection technique pour faire la lumière. Et si les investigations montrent que le maire est fautif, il sera sanctionné. Il n’y a pas de super maire ici! On a déjà chassé des maires à Ouaga. Dans l’arrondissement de Bogodogo, deux ont été mis en prison. Mais si ce sont des gens qui font juste la tambouille, ce n’est pas un bon indice pour engager une action spécifique. Mais même sans indices, les arrondissements de Ouagadougou font partie d’un programme normal d’investigation de l’inspection technique du ministère. Si quelqu’un a un document prouvant que le MATD a connaissance de faits graves de gestion d’un autre maire et qu’il a mis le pieds dessus pendant qu’au même moment, il a sanctionné celui de Koubri, alors, c’est une grave injustice. Interrogez l’inspection technique, elle vous dira qu’il n’y a pas eu d’inspection qui ait révélé des fautes graves sans que le maire en question ne soit révoqué.

Il pèse aussi de lourds soupçons sur la mission d’investigation qui s’est rendue à Koubri. La première responsable aurait été sanctionnée à une certaine période pour malversation…

Je n’en suis pas informé. Quelqu’un qui a été sanctionné pour malversation ne peut pas se retrouver à l’inspection technique du ministère. Si vous dîtes qu’il y a des gens qui ont été relevés de leurs fonctions parce qu’il y a eu des soupçons qui ont pesé sur leur gestion, ça, c’est possible. Mais aujourd’hui, je n’ai pas connaissance d’un inspecteur sur qui planent des soupçons pour avoir mal géré dans le passé et qui se retrouve encore dans l’inspection.

Certains de vos collaborateurs désapprouvent la manière dont le maire de Koubri a été révoqué. Comment appréciez-vous cela?

Je n’en ai pas connaissance. Ici, tout le monde n’est pas au courant des dossiers d’inspection. Ce sont des dossiers confidentiels. Seuls les inspecteurs sont au courant. Peut-être que l’inspecteur général peut s’autoriser à donner quelques informations. Il ne peut pas avoir d’autres personnes dans la maison qui ont connaissance du contenu exact de ces informations. Les inspecteurs qui ont connaissance sont ceux qui ont proposé les sanctions. Je ne vois pas qui n’est pas d’accord avec la décision dans ce ministère. Au niveau de mon département, nous tenons à la vérité, à la justice. Si nous avons des éléments palpables, nous agissons en fonction de ces éléments.

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK




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