dimanche 23 août 2009

DES JEUNES PORTES DISPARUS…: Le commissariat de police de Wemtenga traduit en justice

2 novembre 2008. Les cris de détresse lancés par le marabout «tapeur de sable» au secteur 29 de Ouagadougou, ne laissent personne indifférent. Les voisins accourent. Et les voici face à une scène digne d’un film d’horreur: un jeune homme baignant dans son sang. Il a la gorge ouverte. La police alertée arrive rapidement sur les lieux. Le jeune homme, entre la vie et la mort, fait des révélations… Deux personnes sont arrêtées. Mais très vite, l’affaire prend une autre tournure: les personnes arrêtées sont portées disparues.

Scène horrible. La victime baignait dans son sang. A quelques mètres de là, le marabout affolé, continuait d’appeler à l’aide. Le voisin du marabout, un agent de police, est alerté. Ce dernier propose d’informer le commissariat de police le plus proche. Il informe aussitôt celui de Wemtenga. Les agents de police ne tardent pas à arriver sur les lieux. On aide le jeune homme à contenir son sang à l’aide d’un morceau de tissu qu’on pose sur sa gorge. Mais le sang continue de couler. Des questions lui sont posées pour avoir une idée de ce qui s’est réellement passé. Le jeune homme se nomme Emmanuel Sawadogo. Il est âgé de 30 ans environ. Il est dans les «affaires». Il serait venu chez le marabout «tapeur de sable» pour «lire son destin». Les révélations du «tapeur de sable» l’ont-elles fait disjoncter ? Selon le marabout, le jeune homme se serait saisi d’une lame à quelques pas de lui pour s’égorger ou plutôt s’immoler. Le marabout aurait été pris de frayeur et aurait commencé à appeler à l’aide. La tentative de suicide avec la lame aurait ensuite fait place à une autre forme. Cette fois-ci, avec un couteau.
Pendant sa courte audition, le jeune homme se présente et fait une révélation à la police: il a en sa possession un sac contenant des armes à feu. Il aurait confié le sac au marabout quelques jours plutôt. Mais le jeune homme n’a pas de document sur lui, permettant de vérifier son identité. Inoussa Romba, un «ami» qu’il s’est fait quelques semaines plus tôt, serait en possession de sa carte d’identité. Autre information: il manque une arme dans le sac. Inoussa Romba serait également en possession de ladite arme. Il ajoute qu’il était prévu que son ami Inoussa, qui l’a conduit quelques heures auparavant chez le marabout, passe le chercher aux environs de 17h.
Le blessé est embarqué par la police. Quelques heures plus tard, vers 17h, Inoussa Romba se rend chez le marabout. Il n’est pas informé de ce qui s’est passé aux environs de 14h. Dès qu’il franchit le seuil de la porte, il est arrêté par les agents de police postés dans la cour. Des questions lui sont posées. Certaines sont relatives à l‘arme qu’il aurait en sa possession. Le jeune homme soulève sa chemise et fait sortir ladite arme. Il est aussitôt saisi par les agents de police. Pour quelle destination? Le marabout qui a suivi les deux scènes est sûr et certain d’une chose: les jeunes arrêtés ont été conduits au commissariat de Wemtenga. Et il ajoute que «le jeune qui a essayé de s’égorger, saignait vraiment. Le sang jaillissait de sa gorge. Il a perdu beaucoup de sang. S’ils ne l’ont pas amenés aussitôt à l’hôpital, je parie qu’il est mort quelques temps après».

Multiples démarches

Tout le quartier est stupéfait. Pendant des semaines, les commentaires vont bon train. Moussa Romba, le grand frère de Inoussa Romba, n’a eu l’information que trois jours après. C’est l’un de ses oncles qui lui met la puce à l’oreille. Il entame aussitôt les démarches pour avoir des informations sur son frère. Et savoir la suite de cette affaire. Il approche le marabout. Ce dernier affirme que le dossier est traité par le commissariat de Wemtenga. La compagne du jeune disparu, elle, ne sait qu’une seule chose de cette affaire. La veille de son arrestation, son copain est rentré à la maison la nuit, avec une arme à feu. Malgré la peur qu’elle a eue au ventre ce soir-là, elle n’a pas hésité à lui demander la provenance de l’arme. Le jeune homme aurait esquivé la question. Le lendemain, 2 novembre 2008, il est sorti très tôt le matin. Et depuis, elle ne l’a plus revu.
Les démarches de Moussa Romba seront vaines. Le commissariat de Wemtenga dit ne pas être en charge du dossier. Selon les policiers, ni Emmanuel Sawadogo, ni Inoussa Romba ne figure dans les cahiers du commissariat. Après de multiples démarches, Moussa Romba décide de suivre la voie judiciaire. Une option lui est proposée: déposer une plainte contre le commissariat de Wemtenga auprès de la doyenne des juges d’instruction et payer une caution de 50 000 F CFA. 21 mai 2009: la plainte est déposée. Depuis lors, la famille Romba est en attente d’informations sur le porté disparu.

Alain DABILOUGOU

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MOUSSA ROMBA, FRERE DU PORTE DISPARU

«S’ils l’ont tué, qu’ils nous le disent!»

Le Reporter: A quel moment avez-vous su que votre frère était arrêté par la police?
J’ai été informé trois jours après son arrestation. L’un de mes oncles m’a dit qu’il aurait appris que mon frère a été arrêté par la police de Wemtenga. Et qu’il aurait été arrêté avec son ami chez un marabout au secteur 29. Après avoir reçu l’information, j’ai entamé des démarches auprès des autorités et au niveau de la police de Wemtenga. J’y suis allé une semaine après l’arrestation. Ils m’ont dit ne pas être au courant de l’affaire. A la guérite du commissariat, on m’a demandé de laisser mon contact et qu’on m’appellerait s’il y a des nouvelles. J’ai attendu l’appel, en vain. Je me suis aussi rendu à la gendarmerie et à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Il n’y était pas. Quand je suis reparti à la source, des témoins m’ont confirmé que les deux jeunes avaient été déférés au commissariat de Wemtenga. J’ai mis mes relations en branle à travers tous les commissariats de Ouagadougou, mais je n’ai pas eu d’information sur mon frère.

Avez-vous des preuves que votre frère a été effectivement déféré au commissariat de police de Wemtenga?


J’ai des informations sûres. Trois mois après l’arrestation de mon frère, notamment en janvier 2009, l’une de mes connaissances qui travaille au commissariat de police de Wemtenga, m’a dit l’avoir aperçu à deux reprises. Ils auraient même échangé. Mon frère lui a demandé si j’avais été informé de son incarcération au commissariat. Il dit avoir répondu qu’il m’a vu à deux reprises au commissariat et a donc conclu que je savais que mon frère y était incarcéré. Le marabout, principal témoin de la scène, affirme, lui, qu’il a suivi les agents de police quand ils ont «pris» les deux jeunes. Son voisin, le policier aussi, a suivi la première «vague». Le marabout m’a donné le nom du commissaire qui a auditionné les deux jeunes. Il a situé le bureau dans lequel il y a eu les auditions. J’ai rencontré également le policier voisin du marabout. Il a déclaré que depuis les arrestations, il n’a plus eu de nouvelles. Il m’a dit qu’il n’est plus au commissariat depuis plusieurs mois. Je suis personnellement allé au commissariat. J’ai essayé de rencontrer le commissaire principal. Mais c’est son adjoint que j’ai pu voir. Il s’est mis en colère quand j’ai exposé le problème. Il m’a dit que là-bas, les renseignements se prennent à la porte. Je lui ai dit qu’à la porte, les agents ont affirmé n’avoir jamais vu mon frère. Et ils ont ajouté que les deux jeunes n’étaient pas incarcérés au commissariat de police de Wemtenga. J’ai dit au commissaire que je souhaitais avoir plus d’informations. Il m’a répondu que les noms de tous ceux qui entrent au commissariat ou qui y sont incarcérés, sont consignés dans le cahier disponible chez les agents à la porte. Il m’a ainsi renvoyé à la porte. J’y suis allé. Les agents ont fait semblant de fouiller le document. Ils n’ont pas vérifié la page du 2 novembre 2008.

La personne qui dit avoir vu votre frère travaille-t-elle au commissariat ?

Oui, mais il n’est pas policier.

L’avez-vous recontacté après vos différentes démarches?

Oui. Mais depuis lors, il m’évite. Il m’a dit qu’il n’avait plus revu mon frère et qu’il n’avait plus accès au lieu où il l’avait rencontré à deux reprises. Je ne sais pas si on l’a menacé. Il m’a dit qu’il ne l’y voit plus et qu’on doit l’avoir transféré ailleurs. Je suis donc allé au Palais de justice pour rencontrer le procureur. Ce dernier m’a envoyé voir un substitut. Le substitut m’a donné rendez-vous une semaine après. Quand je suis allé le voir, il m’a demandé de rédiger une correspondance pour soumettre le problème à la doyenne des juges d’instruction et déposer une plainte à son niveau. C’est ce que j’ai fait le 21 mai dernier. Il s’agit d’une plainte contre le commissariat de Wemtenga. Je suis sûr que c’est eux qui ont «pris» mon frère. A la justice, on m’a demandé de verser une caution de 50 000 F CFA. Ce que j’ai fait. Je veux juste savoir la vérité. S’ils l’ont tué, qu’ils nous le disent afin que nous puissions organiser ses funérailles. Nous sommes dans un Etat de droit. On a le droit de savoir.

Avez-vous contacté les parents d’Emmanuel Sawadogo, l’ami de votre frère?

La famille de l’autre jeune ne s’est pas vraiment inquiétée pour lui. Dans le quartier, tout le monde savait que c’était un braqueur... Mais je peux témoigner que mon frère et lui se sont connus trois semaines seulement avant leur arrestation. A ce moment, le jeune Emmanuel avait déjà perdu la raison. Je ne le connaissais pas. Un jour, 3 semaines avant l’arrestation de mon petit frère, je suis revenu du service et je commençais à prendre mon déjeuner quand Emmanuel Sawadogo, m’a approché. Il semblait bizarre et racontait une histoire à dormir debout. Il disait avoir acheté un engin à deux roues sans documents. Il avait peur que la police l’arrête parce qu’il n’avait aucune pièce de l’engin. Il m’a dit ce jour-là, qu’il avait besoin de conseils… Je lui ai dit que je ne pouvais rien faire pour lui. Après moi, il a rencontré d’autres personnes dans le quartier dont mon frère, Inoussa. Ce dernier, selon quelques témoins, lui aurait dit que c’était facile de se faire délivrer des documents pour un engin. C’est ce jour qu’ils se sont rencontrés la première fois. Et je confirme que Emmanuel Sawadogo avait déjà perdu la tête à ce moment-là. Vu son état, il n’était plus capable de mener une opération de braquage.


Où en êtes-vous aujourd’hui avec cette affaire ?

Mon frère ne travaillait pas. Il m’aidait de temps en temps dans mes taches. Il faisait ses propres affaires aussi… il a peut-être plongé dans une affaire ou bien il en a été victime… Toute personne que nous contactons, nous dit que c’est une histoire d’arme et qu’elle a peur de s’y mêler. Mais la famille a le droit de savoir. Ils peuvent nous dire tout simplement: «Votre frère a été mêlé à ceci ou cela et voici le sort qui lui a été réservé». Nous allions être tranquilles, parce que nous aurions su ce qu’il a fait et ce qu’il est devenu. On ne peut pas faire disparaître un homme comme ça. Notre recours est au niveau de la doyenne des juges. Nous attendons donc. S’ils l’ont tué, qu’il nous le dise.

Propos recueillis par Alain DABILOUGOU

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