dimanche 23 août 2009

CONGRES DU CDP: Salif Diallo veut-il mettre du sable dans le couscous de ses camarades?

Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) tiendra son 4éme congrès ordinaire du 23 au 25 juillet prochain. Ce congrès sera soit celui de la consécration de l’allégeance définitive au Président Blaise Compaoré son géniteur, soit celui de la prise en main de l’initiative politique par le parti. Il intervient dans un contexte pré-électoral et où il est de plus en plus question d’un divorce entre le Président du Faso et le CDP. Les enjeux sont donc grands pour l’avenir du parti et de ses premiers responsables au regard du bouillonnement constaté ces derniers mois dans les rangs de la mouvance présidentielle et de la FEDAP/BC. Mais le CDP se laissera-t-il faire ou tentera-t-il de prendre les choses en mains? Déjà, des propositions sont faites par certains de ses leaders en l’occurrence Salif Diallo, 1er vice Président et ambassadeur du Burkina en Autriche qui estime nécessaires une dissolution de l’Assemblée nationale, des réformes politiques et institutionnelles pour éviter «la patrimonialisation de l’Etat», un gouvernement d’ouverture, etc. A quel dessein ? Salif Diallo joue-t-il sa carte personnelle ou est-ce une nouvelle bouée de sauvetage du régime comme il sait bien le faire? Est-ce une nouvelle manœuvre pour contourner les débats sur l’alternance forcée (Le PF entame son dernier mandat en 2010) à l’horizon 2015?

Depuis quelques temps, le CDP traverse des zones de turbulences et a perdu de sa capacité à imposer le silence sur ses choix politiques contestables. Nous l’avons écrit, à maintes reprises dans cette rubrique, le CDP n’a pas d’avenir en dehors de Blaise Compaoré. En tout cas, c’est l’impression que ses principaux animateurs d’hier à aujourd’hui donnent à tout observateur attentif de leurs agissements. Et Mahamadi Koanda, ancien député et membre fondateur l’a si bien confirmé en confiant dans une interview accordée à notre confrère Le Pays dans sa livraison du 5 juin 2009, que "le CDP est un champ où on vient cultiver pour Blaise Compaoré"
Il y a un an, nous écrivions précisément ceci: «Le CDP n’est pas un parti politique tirant sa force et sa légitimité de l’engagement militant de ses adhérents mais plutôt un regroupement d’hommes et de femmes d’intérêts et d’horizons divers ayant pour seul point de convergence, l’allégeance au père fondateur, le Président Blaise Compaoré. En effet, après son élection au forceps en décembre 1991 sous la bannière de l’Organisation pour la démocratie populaire-Mouvement du travail (ODP/MT) et dans le cadre du large rassemblement (son premier programme septennal), Blaise Compaoré s’est lancé dans la conquête d’une base sociopolitique forte pour asseoir sa légitimité et son pouvoir. C’est le programme présidentiel dont le succès ne fait l’objet d’aucun débat. Il a effectivement ratissé large et dans tous les courants de pensées politiques, y compris ceux en totale opposition avec l’idéal communiste de sa jeunesse (…) Tout semble s’être joué sur un partage de rentes politiques, brandies comme appât pour politiciens en quête de mieux-être. Ainsi a-t-on assisté à une cascade de ralliements. Presque tous les partis politiques ont subi à l’époque la désertion de militants vers le nouveau paradis politique qu’est le CDP. La grande majorité des cadres de l’administration publique, les plus grosses fortunes du pays, les chefs coutumiers et religieux, des responsables d’organisations paysannes, sans oublier tous ces citoyens anonymes (attirés par les fortes senteurs du bonheur facile à l’ombre du grand sachem) ont accouru pour grossir les rangs. Chacun y est venu pour défendre ses intérêts propres. Ils sont nombreux aujourd’hui ces hommes et ces femmes qui sont les preuves vivantes que le ralliement au CDP offraient plus d’opportunités de réussite sociale et économique que tous les diplômes du monde réunis» (Cf. Le Reporter N° 13 de juillet 2008)

Une bien curieuse conception de la démocratie

Naturellement, après le large rassemblement, il faut contenir «les ambitions trop disparates et parfois inavouées et même démesurées de tous ces cadres accourus de partout pour soutenir Blaise Compaoré, sinon se soutenir eux-mêmes». Depuis plusieurs années, on assiste progressivement à des départs significatifs de certains cadres dont la plupart anime aujourd’hui des partis de la mouvance présidentielle. Le dernier mouvement en date est celui des «refondateurs» qui, après une fronde bruyante à travers des échanges épistolaires avec la direction du parti, ont fini par claquer la porte tout en promettant à ceux qui voudraient bien les suivre, un nouveau cadre politique.
C’est donc sur fond de turbulences en son sein qui pourraient augurer d’une nouvelle ère pour la démocratie interne par l’instauration du débat contradictoire et la fin de l’omerta dans l’arène du pouvoir, que le parti que préside Roch Marc Christian Kaboré tiendra son 4ème congrès. Cette rencontre se tient aussi à un moment où le parti qui n’a plus le monopole du portage politique de l’action du Président, est en quête d’un repositionnement stratégique lui garantissant une stature réelle de parti au pouvoir. Avant ce congrès, sa direction a fait le tour du Burkina pour animer des conventions régionales et provinciales au cours desquelles, il a été question de resserrer les rangs autour du Président du Faso. Il a été également question des rapports entre le parti et la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (FEDAP/BC) annoncée comme la nouvelle force qui concurrencerait le CDP dans le soutien à l’action de Blaise Compaoré. Le discours a été le même partout. Il n’y a pas de concurrence possible entre les deux entités mais plutôt une complémentarité. Ces discours, on l’a compris, traduisent la volonté des premiers responsables du parti de rassurer le Président de leur constante et indéfectible allégeance. Ils font des pieds et des mains pour remobiliser les troupes afin de rester la première force politique à la disposition du Chef. On les a vus, à la limite agacés, s’échiner à critiquer avec véhémence le Forum des citoyens de l’alternance initié par Zéphirin Diabré. C’est à peine s’ils ne déniaient pas à des citoyens de ce pays le droit de se réunir publiquement pour discuter de l’alternance. Mais, humainement, on comprend l’agacement des caciques du CDP sur cette initiative de débats publics sur l’alternance qui est venue comme une tempête, remplir leur couscous de sable, d’autant plus que l’initiateur est l’un de leurs compagnons d’hier qui a quitté le navire et tente de jouer sa partition ailleurs. Mais là où c’est inquiétant, c’est quand ce parti qui se dit grand et démocrate, manque crucialement le courage politique de reconnaître qu’en démocratie, le pouvoir s’exerce à travers des mandats limités dans le temps et que nul ne peut se prétendre démocrate s’il conçoit l’exercice du pouvoir par un seul et même individu pendant des décennies et même tout le temps qu’il le souhaite. Ces messieurs et dames ont une bien curieuse conception de la démocratie. Ces responsables politiques continuent de s’enfoncer dans l’erreur historique de priver le peuple burkinabè d’une démocratie véritable où la constitution est et demeure quelque chose de sacrée et respectée comme telle par tous. Le CDP s’est déjà rendu coupable d’un viol de la volonté populaire par la révision de l’article 37 de la constitution en 1997. Et l’histoire semble se répéter. Pour plaire au chef et sauver leur tête, certains sont prêts à tout, y compris une nouvelle relecture de la constitution pour sauter à nouveau le verrou de la limitation des mandats présidentiels. Bref, le parti tente bien que mal de colmater les brèches pour aller à ce congrès.

Salif Diallo est-il entré en rébellion?

Cependant, tout porte à croire que les débats ne seront pas aussi aisés comme de par le passé. Déjà, des discours de cassure se font entendre de la part de certains leaders et non des moindres. En effet, alors que le parti a choisi de consacrer les débats sur le renforcement de son dispositif organisationnel, le N°2 du parti, Salif Diallo, de son «exil autrichien», annonce les couleurs et jette un pavé dans la marre. Même s’il précise qu’il s’agit d’un point de vue personnel, certaines de ses propositions ne seront pas reçues avec beaucoup de bonheur par tout le monde. Cette sortie fait déjà des grincements de dents chez certains de ses camarades qui pensent que «Gorba» veut, comme «Zeph», mettre du sable dans leur couscous. D’entrée, il reconnaît implicitement que l’Etat et ses institutions sont en panne et qu’il faut entreprendre des réformes institutionnelles profondes pour relancer la machine. Entre autres propositions faites par Salif Diallo au détour d’une interview accordée à L’Observateur Paalga du 8 juillet dernier, il y a celles surprenantes de la dissolution de l’Assemblée nationale et de réformes institutionnelles pour instaurer «un régime parlementaire fort», et de la formation d’un gouvernement d’ouverture pour conduire une sorte de processus transitoire vers des élections générales.
Que cherche Salif Diallo? Est-ce les signes d’un début de rébellion contre son maître d’hier? Ou est-ce finalement, une lecture désintéressée de la situation nationale après quelques mois de recul? De telles propositions venant de lui sont pour le moins troublantes. Non pas qu’elles sont sans intérêt ni fondement, mais justement parce que Salif Diallo est connu, à tort ou à raison, comme l’un des acteurs des plus grands coups fourrés que le régime Blaise Compaoré a servis au peuple depuis le 15 octobre 1987. De ce point de vue, ils sont nombreux qui verront dans ses propositions la main de son maître. D’autant plus que dans ses propositions de révisions de la constitution, il n’évoque nulle part l’inviolabilité de l’article 37 qui interdit à Blaise Compaoré un autre mandat après 2015. Pour les thuriféraires d’une telle analyse, Blaise Compaoré manœuvre pour se maintenir au pouvoir et il a fait appel à celui qu’il croit capable de sortir le grand jeu. C’est un point de vue qui se défend et qui mérite attention. Seulement, l’on ne peut s’empêcher de penser que le Président du Faso et son «ancien homme à tout faire», soient plus stratèges que cela. Nous ne sommes plus entre 1987 et 1998 où les Burkinabè voyaient venir les choses et les laissaient passer par peur, cupidité et complaisance. Aujourd’hui, bien des Burkinabè ont ouvert l’œil et le bon. Autant Salif Diallo croit le président «patriote et à même de s’élever au dessus des intérêts partisans», autant ils sont nombreux à croire que lui aussi est patriote et capable de se mettre au dessus des calculs politiciens juste pour rendre service à son mentor et retrouver sa place dans le sérail; et qu’enfin, il a pris la mesure de la situation nationale pour reconnaître qu’une démocratie où un seul individu règne indéfiniment, n’en est pas une. C’est plutôt «un marché de dupes» comme l’a dit Zéphirin Diabré.
Pour autant, doit-on croire que «Gorba», comme on l’appelle ici, est finalement entré en rupture définitive de banc avec Blaise Compaoré et chercherait à le pousser à sortir du bois pour dévoiler ses intentions réelles, quitte à ce que ces intentions fassent l’objet de négociations en vue d’un «compromis historique avec l’opposition démocratique, sans chercher à la dompter ou à obtenir d’elle une allégeance complaisante»? Ce n’est pas non plus à exclure quand on se rappelle des conditions de son départ du gouvernement. A ce sujet, un internaute fait remarquer que «cette interview est en quelque sorte codée et seul celui qui réfléchit bien saura la comprendre». En tous les cas, si telle est l’intention de Salif Diallo, il mérite le soutien de tous ceux qui estiment qu’il faut enfin donner la chance au Burkina de tester d’autres compétences au sommet de l’Etat. Au risque de nous répéter, n’en déplaise aux caciques du CDP, bien des citoyens estiment que si en 22 ans, le Président Compaoré n’a pas encore donné tout ce qu’il peut à ce pays, il doit poursuivre son apport en tant que citoyen et céder la place à d’autres qui sont disposés à tout donner en un ou deux mandats. Mais Salif Diallo n’a pas fait feu de tout bois sur Zéphirin Diabré et le forum des citoyens de l’alternance. Mieux, il dit tout haut que l’alternance ne saurait être un sujet tabou. Toutefois, «le meilleur moyen de créer une alternance dans la paix et la stabilité, c’est de réformer profondément les institutions actuelles, pour approfondir la démocratie en donnant des chances égales à tous les partis politiques. C’est pourquoi ma suggestion est d’aller aujourd’hui vers un régime parlementaire, qui nous éviterait une patrimonialisation de l’Etat». Il est convaincu qu’il faut sortir des discours convenus et le Président du Faso n’a pas à s’offusquer puisqu’il ne fait que donner «un point de vue politique. Et «s’il doit l’être, c’est contre ceux qui lui « pompent l’air» tous les jours avec des pseudo-lectures de la situation nationale, qui veulent maintenir le statu quo, croyant qu’avec le temps et par des tours de passe-passe, ils pourront hériter de son pouvoir ou conserver des avantages».
Sacré Salif Diallo! S’il n’est donc pas inspiré ou cautionné par le Président Compaoré, l’on ne peut que se réjouir qu’il mette son courage et son génie politiques au service d’une refondation réelle de l’Etat et de la gouvernance. Sans verser dans la naïveté, l’on peut donc lui accorder le bénéfice de la présomption de bonne foi d’autant plus qu’il affirme haut et fort qu’il «n’avance pas masqué» et qu’il assume ses points de vue. Ce qui n’empêche pas aussi d’ouvrir l’œil et le bon.
Enfin, va-t-il verser ses propositions aux débats du congrès? Sera-t-il suivi par ses camarades? Lui-même ne prend pas pour acquis un débat de ses propositions au congrès. Car dit-il, «c’est une question difficile sur laquelle le président du parti et moi avons échangé plus d’une fois. Je ne présage de rien. Mais si cette option est prise, elle suppose beaucoup de sacrifices de notre part. Il ne s’agit pas de préserver des intérêts personnels ou partisans, mais plutôt de préserver la paix et la stabilité pour un avenir serein de notre pays. (…) C’est d’un nouveau départ institutionnel qu’il s’agit».
Salif Diallo croit qu’un «régime parlementaire responsabiliserait plus le CDP et lui permettrait de survivre politiquement au président Compaoré». Si donc ses propositions sont mises sur la table du Congrès, il est certain qu’il y aura débats, à condition bien sûr que ce ne soient des propositions inspirées ou avalisées du palais présidentiel. En effet, si ces propositions émanent du président Compaoré, elles passeront comme une lettre à la poste. C’est en cela que le congrès du CDP est digne d’intérêt. L’évolution de la situation interne de ce parti finit de convaincre que le combat ne fait que commencer. Soit il sort grandi de ce congrès avec une cohésion interne plus que jamais renforcée, soit il demeure ce géant aux pieds d’argile qui se complaît dans un unanimisme sans conviction. Il ne faudrait donc pas que le CDP se trompe de combat. Son avenir dépendra de la capacité des délégués et de la direction à aborder avec lucidité et courage les préoccupations et les aspirations des populations. Si ce parti conçoit exclusivement son utilité publique et sa raison d’être à l’allégeance à Blaise Compaoré, il ne lui reste plus que d’attendre qu’un jour, celui-ci n’en ait plus besoin et décide de miser sur d’autres relativement plus neufs et moins comptables de la situation actuelle. Le CDP pourrait alors disparaitre comme tant d’autres avant lui; ce ne serait pas «un drame national» ! Le congrès est donc une opportunité historique pour le CDP de donner une autre image de lui. Et ce ne sont pas les propositions qui manquent. C’est bien beau de se flatter que l’on a une force de mobilisation d’un électorat important, seul source de légitimité en démocratie. Mais dans ce pays, tout le monde sait de quoi est constituée la prétendue force du CDP. Et pour renforcer ses capacités organisationnelles, il faut aller au-delà des flatteries, des fuites en avant afin de prendre toute la mesure de la situation nationale et des grands enjeux et défis qui se posent au Burkina et à sa démocratie. Mais bref, le CDP, c’est le CDP. Peut-être que c’est trop demander à ses leaders d’avoir enfin le courage de penser à ce pays qui leur a tout donné. Absolument tout sauf le courage et la volonté de le lui rendre un jour, ne serait-ce qu’en termes d’un tout petit d’effort de surpasser leurs intérêts partisans.
Par Boureima OUEDRAOGO

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