dimanche 23 août 2009

ALTERNANCE AU BURKINA: «De quoi avez-vous peur?»

22 ans au pouvoir. 28 en 2015 s’il est élu en 2010. Et si la constitution est tripatouillée comme en 1997, il pourrait régner jusqu’en 2025. Et même au-delà… Blaise Compaoré est scotché au fauteuil présidentiel depuis le 15 octobre 1987. Les enfants nés ce jour-là, où un sanglant coup d’Etat a emporté le président Sankara et douze de ses compagnons, doivent sans doute se poser beaucoup de questions. Ils ont passé 22 ans de leur vie sans avoir eu le moindre plaisir de constater une alternance au sommet de l’Etat. Certains d’entre eux mourront peut-être ou sont déjà morts sans avoir vu, dans notre pays, un chef d’Etat succéder à un autre de façon démocratique. Simplement parce que certains clans politiques malhonnêtes ont torpillé et continuent de torpiller les valeurs cardinales qui doivent régir le «pays des hommes intègres». Ils ont fait sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels, en 1997, pour permettre à Blaise Compaoré de prolonger son mandat. Une sorte de pouvoir à vie… Et qui sait de quoi demain sera fait? Va-t-on encore saborder les valeurs cardinales de la constitution, qui limitent le mandat présidentiel à deux, pour que le fauteuil «suprême» n’échappe pas à Compaoré en 2015? Tout est possible. Le hic, c’est que les longs règnes conduisent forcément au chaos. Il suffit de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire politique de certains Etats africains pour s’en rendre compte. Le Burkina risque, si l’on n’y prend garde, de tomber, lui aussi, dans ce piège infernal. Blaise Compaoré va-t-il se résoudre à éviter le pire à notre pays? Ou va-t-il conduire le navire au creux de la vague? Il y a déjà des signaux inquiétants.

Un nouveau souffle!

Le Forum des citoyens de l’alternance, tenu à Ouagadougou les 1er, 2 et 3 mai, a crevé l’abcès. Ce groupe de citoyens, conduit par Zéphirin Diabré, actuel directeur du département Afrique et Moyen-Orient et conseiller de la présidente d’AREVA pour les affaires internationales, a eu le mérite d’instaurer le débat sur la question fondamentale de l’alternance. Même si, évidemment, cette rencontre d’échanges démocratiques a troublé le sommeil de certains caciques du pouvoir actuel. Visiblement, Blaise Compaoré s’est senti frustré. On a constaté qu’il était très mal à l’aise lorsqu’il parlait de la question à la télé, quelques jours après le forum. Son parti, le CDP, invité au à la rencontre, ne s’y est pas rendu. Certains membres du parti, d’habitude très prolixes, ont été invités mais n’ont pas répondu à l’appel. Arguant qu’ils n’auraient pas la possibilité, conformément au règlement intérieur, de participer à l’ensemble des travaux. Les partis politiques et les autres invités ont été autorisés à prendre part aux plénières. Les travaux en commissions étaient l’affaire exclusive des membres du Forum, venus de plusieurs provinces du Burkina. A l’évidence, le CDP a raté une belle occasion d’exprimer son mécontentement «en live» devant tout ce beau monde. Près de 250 participants. «De quoi a-t-il peur?», s’est interrogé un citoyen à la fin des travaux. De l’alternance au sommet de l’Etat? «Certainement», a répondu un autre. Pourquoi sont-ils alors allergiques au charme de la démocratie? Regardez comment le jeu politique est «beau» au Ghana voisin. Un régime succède démocratiquement à un autre. Et celui qui était au pouvoir et qui a été battu, peut revenir au pouvoir par la voie des urnes à la fin du mandat de celui qui l’avait battu. Un tel processus donne incontestablement de la sève nourricière à la démocratie.
Mais lorsque l’alternance est prise en otage, ceux qui aspirent au pouvoir, finissent toujours par y accéder, non pas par la voie des urnes mais par la voie des armes. Et bonjour les chaos! A l’évidence, pour éviter le pire, il faut commencer par respecter la constitution. Que Zéphirin Diabré ambitionne de se lancer dans la course pour l’élection présidentielle, n’est nullement un problème. C’est son plein droit! Il rendrait même un énorme service à la nation si, par le truchement du débat démocratique qu’il a instauré pendant le Forum, l’alternance venait à se réaliser au Burkina. 22 ans de règne, c’est trop! Si en deux mandats, on n’a pas pu apporter ses preuves, il faut avoir le courage et l’amour pour son pays, en cédant la place à d’autres personnes. Blaise Compaoré n’est pas le seul à pouvoir gouverner le Burkina. Il y a des hommes dans ce pays qui peuvent mieux le faire que lui. Mais «pourquoi ont-ils si peur de céder la place à d’autres? Que se reprochent-ils ? Ou ont-ils délibérément choisi de conduire le pays vers le chaos?». Ces questions-là, de nombreux citoyens se les posent. Mais Blaise Compaoré les écoute-t-il vraiment? Ou développe-t-il, dans les salons feutrés de la présidence, des stratégies pour se maintenir au pouvoir?
Le camp de Comporé n’est pas seul sur le ban des accusés. Les partis d’opposition ont été mis en garde. Le Forum est devenu à un certain moment, un «procès de l’opposition». Certains leaders se sont gravement compromis et ils veulent aujourd’hui s’ériger en donneurs de leçons. Au cours des débats, on leur a cloué le bec. Sans autre forme de procès! Car il ne saurait avoir d’alternance sans projet alternatif crédible. Le diagnostic du Forum a été clair: le Burkina Faso est malade et il faut un remède de cheval pour sortir le pays de cette «vallée de larmes». Que les plaisantins se tiennent donc loin de la ligne de départ des candidats à l’élection présidentielle.
Cependant, il faut que tous les citoyens s’investissent pour l’alternance au Burkina. Tel est le souhait affiché par le Forum. D’ailleurs, Zéphirin Diabré a promis de s’investir pour la vulgarisation des conclusions de cette importante rencontre. Il est prévu aussi, tous les deux ans, un forum des citoyens de l’alternance. En clair, l’alternance ne concerne pas seulement le régime Compaoré. Quel que soit le pouvoir qui s’installera, il lui sera demandé d’avoir une probité intellectuelle en respectant scrupuleusement les valeurs édictées par la constitution. Les dignitaires du régime auteurs de corruption et de détournements, ont été mis en garde par les participants au forum. L’appel lancé par les citoyens de l’alternance au président du Faso sur cette question, a dû troubler leur sommeil…
Sandra JOLY

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ZEPHIRIN DIABRE
«Une démocratie sans alternance est un marché de dupes!»
La première victoire du Forum des citoyens de l’alternance est le fait qu’il ait eu lieu. Parole de Zéphirin Diabré. Et il est formel à l’endroit de tous ceux qui font de l’alternance au Burkina un sujet tabou: «Pour nous, que ce soit en politique ou ailleurs, rien n’est tabou dès lors qu’il s’agit de l’avenir de notre pays, de notre avenir et de celui de nos enfants». Mais Diabré ne s’arrête pas là. Il y a, dit-il, des signaux très révélateurs d’une «soif d’alternance» dans notre pays.
«Les membres du Forum sont habités par la conviction très profonde, que toute démocratie reste inachevée tant qu’elle n’a pas produit une alternance. Notre démocratie appartient à cette catégorie. Observateurs attentifs de l’évolution de leurs pays, les membres de ce mouvement de masse sont interpellés par des signaux persistants d’un malaise profond qui, selon eux, traduit une soif d’alternance dans notre pays. Cette soif se nourrit d’abord des insuffisances et des échecs de notre politique de développement dont la caractéristique principale est son incapacité notoire à éliminer la pauvreté.
Mais cette soif se nourrit aussi et surtout d’un grand sentiment d’injustice qui risque de mettre à mal notre fragile équilibre social. Ceux qui travaillent à la sueur de leur front et à la force de leur poignet, sont révoltés de voir que d’autres, nullement plus méritants, mais simplement assis à la bonne place, ou titulaires des bonnes relations et des bonnes protections, prennent comme un ascenseur spécial à grande vitesse vers l’enrichissement. Ils sont choqués de voir combien l’Etat, notre bien commun à tous, est devenu un instrument d’enrichissement aux mains de gens promus uniquement sur la base de relations de concussion, et dont l’énergie se dépense plus dans les surfacturations de marchés, que dans la conduite laborieuse de nos chantiers de développement. Enfin, cette soif d’alternance se nourrit de ce que, en démocratie, lorsqu’un peuple est dirigé par les mêmes personnes pendant un certain temps, et (que cela dure et perdure, forcément, il commence à se poser un certain nombre de questions. Il se les pose davantage quand, confronté à des difficultés de la vie quotidienne, il se dit que peut-être que d’autres personnes, mettant en œuvre une autre politique, peuvent peut-être améliorer son sort. Il se les pose avec insistance lorsque, par la circulation des informations, il voit que dans d’autres pays, des camps politiques différents se succèdent au pouvoir, suite à des élections qui ressemblent à ce qui se passe chez lui, et ce, sans que la paix sociale ni la stabilité des institutions ne soit remises en cause. Il se les pose par amour pour son pays, et par le souci de l’avenir que devront affronter ses enfants.
Les membres de ce forum en sont eux aussi là. S’ils se posent ces questions, c’est d’abord par amour pour leur pays, et par conviction en la démocratie. Mais ces questions, ils se les posent à la fois à l’endroit de ceux qui sont au pouvoir, mais aussi à l’endroit de l’opposition dont c’est la mission historique de réaliser l’alternance. En démocratie, réaliser l’alternance, c’est retirer sa confiance à ceux qui gouvernent, mais c’est aussi accepter de la donner à ceux qui aspirent. C’est donc en fait une double équation à résoudre dont les variables, on l’imagine, sont multiples. C’est pour cela qu’on dit à juste titre que l’alternance ne se décrète pas et ne s’octroie pas. Elle se conquiert et se mérite (…) La première victoire de ce forum, c’est d’abord qu’il ait eu lieu. On entend beaucoup dire ici et là que la question de l’alternance est une question tabou dans notre pays. Non, l’alternance ne peut pas être une question tabou en démocratie. Une démocratie dans laquelle on ne discute pas de l’alternance, et dans laquelle il n’y a pas d’alternance, n’est pas une démocratie. C’est un marché de dupes. Et puis pour nous, que ce soit en politique ou ailleurs, rien n’est tabou dès lors qu’il s’agit de l’avenir de notre pays, de notre avenir et de celui de nos enfants».

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK

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