dimanche 23 août 2009

REVOCATION DU MAIRE DE KOUBRI: Comment la cabale a été organisée

Les choses sont allées vite, très vite. Le maire de Koubri, Félix Compaoré, n’a pas pu voir le rapport définitif de l’Inspection technique du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD) sur la gestion de sa commune. Il a tenté d’obtenir le document en vain. Il a voulu savoir ce que le dernier rapport d’investigation lui reprochait au juste afin d’apporter des éléments de réponse. Mais il s’est heurté à un mur en béton. Il a finalement demandé, à trois reprises, une audience au ministre Clément Sawadogo, afin de comprendre la situation. Mais là aussi, il s’est heurté à un refus catégorique. «N’ayant pas commandité cette investigation, vous ne pouvez pas exiger les résultats», lui a déclaré le ministre dans une correspondance datée du 14 mai 2009. Cette décision à forte odeur de politique politicienne a été fortement applaudie par des adversaires politiques du maire qui, semble-t-il, le guettaient depuis longtemps et attendaient le moment opportun pour l’ «abattre». De nombreux habitants de Koubri ont voulu manifester le 30 mai dernier leur mécontentement. Mais les autorités locales ont brandi l’arme de la répression.

«Le maire de Koubri est révoqué pour faute grave de gestion». C’est par cette phrase laconique que Félix Compaoré a été remercié. Le compte rendu du Conseil des ministres, signé par son porte-parole Filippe Savadogo, ne donne aucune précision. Le maire a-t-il détourné 10, 20 ou 30 millions? Ou s’agit-t-il de «faute grave» sur un autre aspect de la gestion de la commune? C’est un flou artistique total. Certains, dans l’opinion, ont tenté de combler ce vide laissé par le Conseil des ministres, en parlant même de plus de 5 milliards de FCFA. Ainsi, le maire a été cloué au pilori par dame rumeur. Et de fort mauvaise manière.
Du côté du MATD, certains responsables ont désapprouvé la manière dont le maire a été révoqué de ses fonctions. Et ils n’ont pas hésité à le dire à qui de droit. Se sentant de plus en plus coincé, le gouvernement a décidé de sauver la face, en organisant une conférence de presse. Et même là, il y avait des zones d’ombre. On n’a pas su si le maire a personnellement commis des malversations. Le ministre a parlé de sommes d’argent introuvables sans ouvertement l’accuser. Le maire, en tant qu’autorité morale, a-t-il été sanctionné à la place d’autres personnes directement impliquées? Le ministre est resté plutôt vague sur la question.
S’agit-il alors d’un règlement de compte politique? «La décision de révocation est à mon avis, très suspecte. Le ministre aurait dû au moins mettre à la disposition du maire le document final d’investigation afin qu’il puisse en prendre connaissance. Et savoir très exactement ce qu’on lui reproche. Non seulement il ne lui a pas remis le rapport final, mais en plus, il a catégoriquement refusé de lui accorder une audience. Comment se fait-il qu’un maire, face à un problème aussi crucial, soit rejeté par son ministre de tutelle? Le ministre aurait dû au moins l’écouter», affirme une source proche du premier responsable du MATD. Et il ajoute qu’il a «l’impression que les membres de la mission d’investigation ont été téléguidés». Pire, le Conseil des ministres a pris la décision, dit-il, «sans vraiment comprendre le problème. On lui a servi ce qu’on a voulu lui servir et il a mordu à l’hameçon».

«Raisons suspectes»

Ainsi, le maire a été révoqué sans que la Justice ne situe les responsabilités. On a vite fait de l’«éjecter» de son fauteuil, avant d’envisager des poursuites judiciaires. Et si au terme du processus, le maire est déclaré non coupable? Le ministre Clément Sawadogo avait-il une dent contre Félix Compaoré? En tout cas, certains de ses collaborateurs désapprouvent la manière dont il a conduit l’opération. Mais pas seulement eux. «Son ministre de tutelle aurait dû, face à cette situation, le suspendre de ses fonctions en attendant que la Justice tranche», affirme un spécialiste du droit. Mais il a préféré demander au Conseil des ministres sa révocation, sans autre forme de procès. La suspension en cas de «faute grave» est contenue dans l’article 272 du Code des collectivités territoriales. Cet article s’achève par cette phrase: «En tout état de cause, le maire ou l’adjoint prévenu des fautes graves ci-dessus énumérées peut faire l’objet de suspension préalable prononcée par l’autorité de tutelle». Le ministre a-t-il lu cette disposition? «Il a dû la lire. Mais comme je vous l’ai dit, sa décision pourrait être motivée par des raisons suspectes», affirme l’un de ses collaborateurs.
Mai 2006. Elections municipales. Le RDB, le parti de Félix Compaoré, bat le grand CDP, le parti au pouvoir. Il remporte 27 sièges contre 23 pour le CDP et 1 pour l’ADF/RDA. Très vite, le climat se détériore. Le CDP a du mal à digérer sa défaite. Surtout que Son Secrétaire général national, Simon Compaoré, est originaire de cette localité. Le CDP tente, à tous les coups, de mettre des bâtons dans les roues de Félix Compaoré et de ses partisans. Un mot d’ordre serait venu de la sphère dirigeante du parti, demandant aux conseillers de la localité de «laisser le RDB gérer seul l’administration de la commune». Le maire Félix Compaoré a du mal à concevoir une telle attitude. Il tente de concilier les différentes positions, en vain. Lui qui, selon plusieurs sources rencontrées à Koubri, voulait faire ses preuves. Et montrer ainsi que le développement de Koubri s’inscrivait dans l’ordre du possible. D’ailleurs, dans son discours d’investiture, il avait appelé à l’unité d’action pour l’intérêt supérieur de cette jeune commune rurale. Mais le CDP semble ne l’avoir pas entendu de cette oreille. Un groupe de six conseillers de ce parti tente ainsi de «rendre la vie impossible» au maire élu. Les choses ont failli même basculer en 2007.
Juillet 2008: le groupe des 6 continue ses manœuvres politiques. Il tente de bloquer le conseil municipal. Il bat des mains et des pieds pour empêcher les conseillers d’assister à une session convoquée par le maire. De sources concordantes, il aurait proposé de l’argent à tout conseiller qui refuserait d’y prendre part. Ainsi, certains conseillers n’ont pas pu résister à la tentation. Surtout qu’en plus, certains de leurs responsables leur ont «menti» en affirmant que le parti aurait donné des consignes pour qu’ils ne participent pas aux différentes sessions du Conseil municipal.

«Le développement pris en otage»

Après avoir «mis le feu à la baraque», ils décident d’ouvrir un autre front de bataille. L’un des conseillers du CDP adresse une lettre ouverte au ministre Clément Sawadogo. Et il accuse le maire de tous les péchés d’Israël. Une copie de la lettre est transmise au Haut commissaire. Probablement pour qu’il fasse, lui aussi, pression pour que le maire puisse être débarqué de son fauteuil. Et ils réussissent le coup. Le ministre envoie des membres de son Inspection technique pour effectuer, dit-on, des investigations sur la gestion de la mairie de Koubri. Du 25 au 30 août 2008, ils tentent de donner un contenu aux accusations formulées à l’encontre du maire par le conseiller municipal du CDP. Une deuxième mission de l’Inspection technique a lieu du 22 au 27 septembre. Elle fait des recommandations en terme d’appui-conseils au maire. Le maire s’active pour les mettre en exécution. Il réussi à le faire à plus de 95%. Mais entre temps, comme pour lui couper les ressources servant au développement de la commune, le MATD demande au gouverneur du Centre de suspendre l’opération de recensement en cours à Koubri. L’Inspection technique aurait découvert des irrégularités. Les inspecteurs usent même de la méthode forte. Ils confisquent, sans décharge, les registres du recensement. La suite, la voici: le rapport partiel est transmis au maire. Le ministre lui demande des éclairages sur certains aspects. Félix Compaoré donne aussitôt des précisions sur les points à polémique. Mais les choses vont se précipiter. L’Inspection technique revient sur le terrain du 2 au 7 février 2009. Cette fois, le maire n’aura pas l’occasion de voir le rapport final. On ne sait pas ce qui a été ajouté à ce dernier document. Félix Compaoré tente, en vain, de comprendre. Mais ni l’Inspection technique, ni le ministre n’accepte de le recevoir. Et puis, le 20 mai, la décision tombe: «Le maire de Koubri est révoqué pour faute grave de gestion avec poursuites judiciaires». Dans certains milieux politiques, c’est la joie. La bataille est gagnée. Mais dans l’entourage du ministre, certains désapprouvent catégoriquement la manière dont le maire a été révoqué. «C’est un gâchis pour cette commune rurale», affirme l’un d’entre eux. Et il ajoute que «c’est déplorable que la politique prenne ainsi en otage le développement de cette jeune commune rurale». Koubri paie les pots cassés. Et avec tout ça, le ministre Clément Sawadogo dit avoir la conscience tranquille. Le pire, c’est que ça se passe au «pays des hommes intègres». Et personne ne dit rien.
Sandra JOLY

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