dimanche 23 août 2009

AFFAIRE «BURKINA LIVRES»: Plus de 50 000 000 FCFA détournés?

L’association «Burkina Livres» a du plomb dans l’aile. Plus rien ne va. Falsification de documents? Détournement de plus de 50 millions de francs CFA? Une impitoyable bataille fratricide se mène au sommet de la structure. Un combat sans merci aux rebondissements imprévisibles. Les protagonistes se sont même trainés en justice. Et même là, il y a des «secousses» dignes d’intérêt. Ici, à Bobo Dioulasso, chaque épisode de ce feuilleton est suivi de très près…

L’histoire de «Burkina Livres» a commencé en 2005, à l’image d’un conte de fée qui n’a pas manqué d’émerveiller les milieux de l’éducation au Burkina. Surtout dans la région des Hauts Bassins. Il s’agissait d’ «inonder» le pays des hommes intègres de livres, surtout de manuels scolaires, à des coûts sociaux. Les autorités en charge de l’éducation avaient alors décidé de soutenir pleinement le projet… Voilà le récit de l’avènement de la structure tel que raconté par celui qui est présenté comme l’oméga de cette «lumineuse» idée. Mordu par le virus de la littérature depuis longtemps, Parfait Bayala, instituteur de son état dans la fin des années 90, est l’auteur de «D’amhara à Mourmansk», un roman commenté par des spécialistes comme étant de bonne facture. Cette oeuvre a été sacrée premier prix littéraire du président du Faso à la SNC 1998. Mais ce livre n’a pas eu une vraie côte de popularité auprès du public. Cependant, cet enseignant, au regard du manque de manuels scolaires au Burkina, décide de mettre à profit une opportunité d’études à Genève en Suisse, en 2001, pour se spécialiser dans le domaine de l’édition. A la fin de ses études, avant de rentrer au pays, il a la sacrée chance de rencontrer des bailleurs de fonds qui veulent l’accompagner dans son projet de création d’une maison d’édition au Bukina Faso. Mais à une condition. Qu’il mette sur pied une association qui pourra porter le projet. Une fois au pays, il contacte des connaissances à Bobo Dioulasso, avec lesquelles il crée l’«association Burkina Livres». Pour donner plus de chance au projet, il décide d’associer des responsables de l’éducation au niveau local. Ainsi, Guidiouma Oumar Sanou, directeur régional des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, Tapsoba Pierre Claver, Adama Koala, tous deux inspecteurs de l’enseignement secondaire, et bien d’autres sont contactés pour la cause. Une assemblée générale est organisée le 14 décembre 2005 au lycée Ouézzin Coulibaly. Un bureau de 8 membres est mis en place. M. Sanou en est le président. Parfait Bayala, lui, occupe le poste de responsable d’édition, avec pour tâche essentielle la coordination technique du projet d’édition. Des textes sont élaborés et des démarches entreprises pour la reconnaissance officielle de l’association, conformément aux règles d’usages en la matière.

Falsification ou réadaptation?

A cette étape, Parfait Bayala doit retourner en Suisse pour quelques temps afin de parachever les formalités avec les bailleurs de fonds. Le président et les autres membres sur place sont chargés de poursuivre les démarches pour l’obtention du récépissé. Et c’est là que semble avoir commencé les déboires de la structure. De retour de Suisse, après avoir fait virer des fonds dans le compte qu’il avait ouvert auparavant pour l’association, M. Bayala se présente, avec le trésorier (ainsi disposeraient les textes) au guichet de la banque pour retirer de l’argent. Mais à sa grande surprise, la banque leur signifie qu’au regard des statuts et règlements intérieur en sa possession, c’est le président et le trésorier qui peuvent effectuer des opérations sur le compte. Parfait Bayala cherche alors à voir ces documents. Et il se rend compte que les textes qui ont été déposés ne sont pas ceux qu’ils avaient élaborés ensemble avant qu’il ne s’envole pour la Suisse. Il conclut à la falsification des textes fondamentaux de l’association. Ainsi commence un long feuilleton à la fois tragique, financier et judiciaire aux rebondissements inattendus. Pour contourner rapidement ce blocage, il contacte, sur conseil de la banque, les bailleurs de fonds, leur rend compte de la situation et leur propose d’ouvrir un nouveau compte spécifique au projet, dans lequel les fonds devront désormais être virés. Bien entendu, le président de l’association, s’estimant floué dans cette situation, ne restera pas les bras croisés. «Il m’a déclaré la guerre! Et nous allons la faire; on verra qui gagnera...», aurait dit Guidiouma Sanou un jour aux agents de l’unité de production des livres, en l’absence de Bayala. « Lorsque je suis arrivé et les agents m’ont rendu compte, j’ai dit que s’il y avait une guerre que j’ai déclarée et qui méritait d’être menée, c’était celle d’ ‘’inonder’’ le Burkina de livres», rectifie Parfait Bayala. Les scènes de défiance entre les deux hommes se multiplient et l’affaire finit par échoir sur le bureau du juge. Parfait Bayala est poursuivi pour abus de bien sociaux. Une assemblée générale est convoquée et Guidiouma Sanou est exclu de l’association. Parallèlement, de nombreux revendeurs des livres produits suspendent le versement des recettes. Les bailleurs sont mis au fait de la situation. Les financements sont alors suspendus, en attendant que la situation se décante. Les travailleurs accusent plusieurs mois d’arriérés de salaires et les factures d’électricité, de téléphone et d’eau ne cessent de s’accumuler. La survie de l’unité est sérieusement menacée. Parfait Bayala entreprend de faire avancer le dossier en justice pour qu’un dénouement soit trouvé afin de relancer l’association. Des mois de va et vient au palais de justice n’y changent rien. La justice avance à son rythme. Entre-temps, une rumeur faisant état d’une certaine proximité entre le procureur général et Guidiouma Sanou fait croire à M.Bayala qu’une «grosse pierre» est déposée sur le dossier et qu’il se passerait des choses suspectes.

Qui a dit que le juge n’est pas «Dieu»?

«Sachant qu’il ne peut plus rien espérer de l’association, il est allé s’entendre avec ses copains à la justice pour sacrifier à jamais la structure». Telle est la conviction de Bayala et alliés après de longues péripéties sans suite notable. Un jour, on lui annonce que le dossier est traité par un juge d’instruction. Pendant qu’il croyait le bout du tunnel proche, les choses ont ralenti. Selon Parfait Bayala, le juge d’instruction lui aurait dit que «c’est une affaire civile et que ce n’est pas un dossier à mettre sur le bureau d’un juge d’instruction. Ceux qui l’ont envoyé ici veulent simplement l’enterrer». Il affirme aussi que le juge l’aurait de nouveau renvoyé au procureur. Mais là aussi, la situation se serait dégradée. «Le procureur m’a accueilli en ces termes: ‘’ ne venez plus me voir; je vous ai dit que votre dossier est aux mains d’un juge d’instruction. S’il décide de le faire avancer, il avancera. Je ne veux plus vous voir dans mon bureau…’’». Voici donc Parfait Bayala de nouveau chez le juge d’instruction. «Il s’est énervé et m’a dit de quitter son bureau». Finalement, Bayala lui aussi s’est énervé et a lâché le mot qu’il ne fallait pas. «Que croyez-vous à la fin? Le juge n’est pas Dieu!», aurait-il déclaré. Cela lui vaudra d’être immédiatement interpellé, enfermé pendant 4 jours avant d’être jugé et condamné au détour d’une procédure ultra rapide, à 6 mois de prison avec sursis et 150 000 FCFA d’amende, pour «outrage à magistrat». L’affaire, selon la formule consacrée, suit son cours, et le moins qu’on puisse dire, c’est que «Burkina Livres» est au bord de l’asphyxie. Faites un détour dans les locaux de la structure au quartier Ouézzinville de Bobo Dioulasso, et vous mesurerez l’ampleur du préjudice encouru. Le sort des travailleurs, tenaillés par plusieurs mois d’arriérés de salaires, est consternant…

Abraham TOURE

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«Moi? Falsifier des documents? Jamais!»

Guidiouma Oumar Sanou n’est pas d’accord avec la version de Parfait Bayala. Voici sa part de vérité.

«M.Bayala est venu me voir un jour avec l’idée qu’on puisse créer l’association Burkina livres, avec pour objectif de mettre les manuels scolaires à la disposition des élèves à moindre coût. J’ai trouvé cela assez noble comme cause et l’association a été créée. J’ai été élu président et M. Bayala comme responsable à l’édition. Nous avons obtenu le récépissé de reconnaissance. Ainsi, le matériel de l’association est venu avec l’exonération, parce qu’il s’agit d’une association à but non lucratif. L’unité de production a ainsi commencé à fonctionner. Comme toute bonne association se doit de créer un compte bancaire, nous avons décidé d’ouvrir notre compte. En la matière, les statuts disent qu’il faut la co-signature du président et du trésorier. Mais M. Bayala a attendu que j’aille en mission à Ouagadougou pour se faire accompagner par le trésorier afin d’ouvrir le compte. Quand ils l’ont fait, je les ai interpellés pour leur dire que l’acte qu’ils ont posé n’est pas statutaire et qu’il fallait qu’on régularise cette situation. Parallèlement, il est allé ouvrir un autre compte dans la même banque. Ensuite, il est allé négocier des fonds pour le démarrage de l’entreprise d’édition. Quand il a reçu les fonds, il les a versés dans ce compte qui est pourtant un compte personnel. Il aurait pourtant dû le faire dans celui de l’association. Une fois de plus, j’ai dit que cela n’était pas statutaire. Et quand je lui dis cela, chaque fois, il me dit que je suis trop légaliste et que lui, il recherche l’efficacité. Chaque fois aussi, je réplique en lui disant que c’est bien de faire quelque chose mais il ne faut pas le faire n’importe comment. Parce que si le fisc vient et que les fonds ne sont pas gérés comme les statuts le recommandent, il y aura problème. Mais je ne savais pas que M. Bayala avait tracé son plan depuis le départ. C’est-à-dire, faire en sorte qu’à travers l’association, on puisse faire venir du matériel sans grand frais et le récupérer pour faire de l’unité d’édition une entreprise familiale. Je ne peux cautionner cela. Je constituais une entrave pour la réalisation de son dessein? Il a ainsi convoqué une assemblée générale avant même l’expiration du mandat du bureau, et avec des amis qu’il a cooptés, il s’est fait élire président de l’association. Tout cela, de manière non statutaire, puisqu’il n’est pas habilité à convoquer les assemblées générales. Je lui ai écrit pour lui dire que son élection est nulle et de nul effet. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec un bicéphalisme au niveau de l’association. Lorsque le mandat du bureau est parvenu à expiration, nous sous sommes retrouvés en assemblée générale et les membres ont, à l’unanimité, reconduit l’ancien bureau, avec mandat de clarifier la situation. La solution qui a été proposée par l’assemblée, c’était d’aller en justice. En tant que président, je suis allé représenter l’association pour déposer plainte en justice, contre M. Bayala pour abus de bien sociaux. Donc l’affaire suit son cours. Mais pendant que la justice fait son travail, il continue d’exploiter l’unité d’édition comme il l’entend. Face à cet état de faits, j’ai dû, en tant que président, dire aux dépositaires de nos manuels de ne plus lui reverser aucun fonds. Résultat, il a eu maille à partir avec des dépositaires ici à Bobo et à Ouagadougou. Il est même allé jusqu’à la police faire de l’intimidation et a réussi à se faire reverser les fonds à Bobo. Mais à Ouagadougou, la police ne l’a pas suivi.
Après que les Suisses ont suspendu leur financement suite à cette affaire, il est allé du côté des Canadiens qui lui ont encore donné des fonds. J’ai vu les papiers et je puis assurer que ce ne sont pas de petites sommes. Tout cela, il l’a géré comme il l’entend, sans que l’association ne soit impliquée. Comment voulez-vous qu’en tant que citoyen, je puisse cautionner de tels agissements? Autrement dit, je ne peux pas me rendre complice de cette arnaque. Faire venir du matériel au nom d’une association à but non lucratif et l’utiliser à titre personnel… Il est en train d’arnaquer l’Etat burkinabè. C’est pourquoi j’ai porté cette affaire devant la justice.
C’est vrai, je reconnais que Bayala est un jeune homme qui est plein d’idées, plein d’énergie, mais une énergie sauvage qui nécessite d’être canalisée dans le bon sens, de même que sa mentalité. Voilà tout le problème.
Je ne reconnais en aucun moment avoir falsifié des documents. Je ne l’ai jamais fait. Par contre, ce qui a été fait, et qui n’est du reste pas mon fait à moi tout seul, mais de tous les autres membres de la structure, c’est que nous avons dû, à la demande de l’autorité, reformuler certains passages desdits textes pour les conformer aux exigences des lois régissant les associations à but non lucratif. Faute de quoi, le récépissé de reconnaissance ne pouvait être délivré. Si c’est cela qu’il appelle falsification, eh bien, je suis d’accord qu’on l’ait fait. Là où le bât blesse, c’est que M. Bayala ne veut pas fonctionner selon les textes. Mais comme le dit l’adage, le mensonge a beau courir, la vérité finit toujours par le rattraper».

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