samedi 9 mai 2009

REFORMES POLITIQUES ET INSTITUTIONNELLES: Touche pas à ma Constitution!

L’Assemblée nationale a engagé, depuis 2008, un processus de réformes politiques et institutionnelles, en proposant notamment la relecture du code électoral, des lois portant financement des partis politiques et statut de l’opposition. Après des rencontres de concertation avec la classe politique et les acteurs sociaux, des propositions de loi ont été soumises au gouvernement. Ces propositions ont été adoptées le 14 avril 2009 par la représentation nationale après amendements du gouvernement. Mais déjà, ces révisions font des gorges chaudes dans les états-majors des partis politiques. Que peut-on attendre de ces nouvelles révisions qui interviennent dans un contexte sociopolitique des plus critiques? Contribueront-elles à renforcer l’ancrage du processus démocratique ou, au contraire, à l’enracinement d’un pouvoir personnel? Se prépare-t-on aussi à modifier l’article 37 de la Constitution afin de consacrer un pouvoir à vie au Président Compaoré? Analyse…

Du côté de l’opposition, on crie au verrouillage du système électoral au profit du «clan» au pouvoir. Même certains alliés du pouvoir, notamment l’ADF/RDA, voient dans ces nouvelles lois, la fin des haricots. Qu’à cela ne tienne! Dura lex ced lex (dure est la loi mais c’est la loi) ! C’est donc désormais officiel, pour être candidat à l’élection présidentielle, en plus des conditions d’éligibilité jusque-là connues, il faut être capable de mobiliser deux centaines de signatures d’élus locaux à travers les 13 régions du pays. Ainsi en a décidé la majorité parlementaire CDP, parti au pouvoir. Dans le même temps, pour prétendre faire partie de l’opposition politique, il faut montrer patte blanche: ne pas soutenir l’action gouvernementale, donc ne pas être membre du gouvernement. On comprend donc pourquoi l’ADF/RDA, jusque-là alliée du CDP dans la réalisation du programme quinquennal du Président Compaoré est furieuse. Elle n’est pas la seule. L’opposition réelle est aussi furieuse.
D’abord, bien que bénéficiaire de la nouvelle loi sur le statut de l’opposition, les partis se réclamant de ce positionnement politique, ne sont pas pour autant les vrais gagnants de ces récentes réformes politiques institutionnelles. Au change, ils gagnent en clarification, notamment en matière de positionnement des différents acteurs sur l’échiquier politique, mais perdent en termes de modalités d’accès aux financements des partis et des campagnes électorales. Mieux, ils sont nombreux à voir tout espoir de candidature à la présidentielle de 2010, disparaître avec les anciens textes. Sur la centaine et demie de partis politiques que compte le Burkina, il n’y en a pas une dizaine qui peuvent remplir ces conditions. A quelque chose malheur est bon, pourrait-on dire! Avec ces nouvelles conditionnalités, l’on évitera certainement au peuple burkinabè certaines candidatures farfelues, celles des dealers et autres plaisantins qui s’amusent à brouiller le jeu politique et en faisant de simples cirques où des clowns de tous genres viennent prester et disparaître dans la nature en attendant d’autres échéances électorales. Finis donc les deals sur les financements publics ! Finies aussi les plaisanteries de certains prétendus leaders qui ne sont en réalité que des farceurs accrochés à des avantages indus et des financements laxistes des partis politiques par l’Etat. Comme le dit si bien le Pr Augustin Loada, il y a au Burkina une forte demande en démocratie mais paradoxalement une piètre offre d’alternative politique. Et, il est heureux que les nouvelles lois relatives à l’animation de la vie politique nationale se durcissent et mettent hors jeu les parasites et autres trouble-fêtes.
Ensuite, il y a cette nécessaire clarification du positionnement des acteurs de la vie politique nationale. Chaque parti politique va désormais assumer pleinement ses choix. Ceux qui mangent à la table du pouvoir doivent désormais s’afficher publiquement dans la mouvance présidentielle et les autres dans l’opposition. De même, pour survivre, certains responsables de petits partis d’opposition vont devoir opérer des choix stratégiques par des rapprochements avec d’autres plus présents sur le terrain et ayant un réel potentiel. Mais, comme ici au Faso, la politique semble être l’apanage des inconstants et de gens de peu de foi, il ne faut pas s’étonner que d’autres restent campés sur des positions fractionnistes.

Vers des dérapages socio-politiques?

Certes, il ne faut pas être naïf au point de croire que la majorité CDP est subitement gagnée par une fièvre démocratique et d’une volonté de libérer le jeu politique de tous ces hommes et femmes mus par des ambitions et des intérêts particuliers qui pullulent sur la scène politique. Bien au contraire, il est clair que le CDP voudrait protéger ses arrières et ceux de ses mentors. Et c’est de bonne guerre. Mais il se tromperait d’époque s’il croit qu’il peut continuer à verrouiller le système politique autour du pouvoir en place et de son grand maître. Il n’y a pas que les acteurs politiques pour construire et conduire le changement. La preuve en est que tous les mouvements qui ont ébranlé le pouvoir en place ces dix dernières années ont été portés par les mouvements sociaux, notamment des organisations de la société civile. Et si le CDP n’a pas encore pris conscience que la grande majorité des Burkinabè commence à être fatiguée de la patrimonialisation du pouvoir d’Etat, il risque d’être à la base de tous les dérapages sociopolitiques du fait de ses options qui ne laissent de place à l’expression de la volonté populaire. On ne peut bâillonner tout un peuple indéfiniment. Tôt ou tard, il finit par s’émanciper de ses peurs, des pressions, des achats de consciences, de l’indignité et autres pratiques propres aux despotes, dictateurs et que savons-nous encore ?
En créant donc l’éclaircie sur l’échiquier politique, la majorité présidentielle crée aussi, peut-être sans se rendre compte, les conditions les meilleures pour l’expression démocratique réelle au Burkina Faso. Si au Mali, au Bénin et au Ghana, l’alternance est devenue une tradition, elle peut le devenir au Burkina Faso. Dans ces pays, justement, c’est le respect du cadre institutionnel par les différents pouvoirs qui se sont succédé ces deux dernières décennies qui a favorisé l’ancrage des processus démocratique. Au Sénégal, le peuple vient d’infliger une cinglante raclée lors des dernières élections locales au pouvoir d’Abdoulaye Wade pour sa gestion aventuriste des affaires de l’Etat avec l’omniprésence du fils qui veut succéder au père. Ici, l’on veut consolider un pouvoir usé par 22 ans d’exercice par le contournement du cadre institutionnel à travers des révisions taillées sur mesures des principaux textes de loi. Le pouvoir personnel et à vie est antinomique à la démocratie. Il en est de même pour la patrimonialisation du pouvoir. C’est vrai autant au Sénégal qu’au Burkina Faso.
Si réellement, les tenants du pouvoir croient en la démocratie et sont aussi patriotes qu’ils le crient partout, ils ont le devoir de donner une chance au pays de souffler un peu en essayant d’autres compétences dans la conduite du destin national. Si en 22 ans, ils n’ont pas pu apporter tout ce qu’ils ont dans leurs tripes pour ce pays, ils ne méritent pas leur place et doivent faire profil bas et se retirer avant que les chosent n’échappent définitivement à leur contrôle. Les slogans du genre «nous n’avons pas du pétrole mais nous avons Blaise Compaoré» se sont révélés aujourd’hui contre productifs. D’autant plus que personne n’a jamais réussi à démontrer en quoi Blaise Compaoré est mieux pour le Burkina que ne l’ont été Alpha Oumar Konaré pour le Mali, John Jerry Rawlings et John Kuffuor pour le Ghana. En quoi, le Burkina est si particulier par rapport à ces pays si ce n’est qu’il a des dirigeants qui se sont installés au pouvoir dans des conditions dramatiques et s’y accrochent dans des conditions presqu’aussi dramatiques depuis 22 ans maintenant ?

2015: 28 ans de règne!

Si c’est la crainte de représailles pour leur gestion du pouvoir qui les enferme dans cet entêtement à s’accrocher contre vents et marées au gouvernail de l’Etat, il leur faudra courageusement exposer leur problème et négocier avec le peuple une sortie honorable. Nous sommes dans un pays disposant de ressorts socio-historiques suffisamment solides pour créer les conditions d’une réinsertion, mêmes de ceux qui ont commis les pires fautes dans la société. Par contre, si c’est simplement la boulimie, les intérêts égoïstes et autres calculs machiavéliques qui les entraînent à vouloir maintenir indéfiniment le pays tout entier sous le règne d’une dynastie, le peuple finirait par réagir pour se défendre contre l’imposture, l’indignité et la confiscation de ses aspirations et de ses rêves d’une société de justice, d’équité, de paix et de progrès vrais.
Il faut donc espérer qu’il ne viendrait pas à l’esprit du CDP et de ses mentors de tenter une nouvelle relecture de la constitution, notamment en son article 37 relatif à la clause limitative des mandats présidentiels. L’appétit venant en mangeant, il n’est pas exclu que la majorité présidentielle, après avoir réussi le coup de force dans les révisions du code électoral, des lois sur le statut de l’opposition et du financement des partis politiques et des campagnes électorales, veuille s’attaquer maintenant à de gros morceaux. Certains pensent à déjà une 5ème République (nous sommes sous la 4ème) qui viendrait remettre tous les compteurs à zéro et redonner une fois de plus un bonus de deux quinquennats au chef de l’Etat à compter de 2015. Et c’est toujours de bonne guerre. Que ne feront pas ceux qui ne vivent que des délices du pouvoir pour que rien ne change? Il appartient aux Burkinabè de se mobiliser pour faire triompher l’intérêt général des ambitions voire de la boulimie de quelques individus. Au risque d’être accusé de rouler pour l’opposition ou d’être contre le pouvoir, nous pensons que les Burkinabè auront eu leur dose de Blaise Compaoré au terme de 28 ans de pouvoir. Celui-ci devrait, à défaut de se contenter des 23 ans qu’il aura accumulés au terme de son mandat actuel, éviter à ce pays qu’il dit tant aimer, le chaos inévitable des longs règnes qui se terminent toujours en queue de poisson. Et tout le monde devrait l’y aider. Mais sur ce point, il ne faut pas trop compter sur le CDP et tous ces courtisans et autres griots du Palais. L’on pourrait même dire qu’il faut protéger le Président de ceux qui crient à longueur de journées que personne, autre que lui, ne peut gouverner le pays.
Aujourd’hui, plus que jamais, les consciences sociales s’éveillent progressivement. Les récurrents mouvements de contestations et de revendications, les défiances répétitives de l’autorité par certains acteurs de plus en plus nombreux, sont des signes que plus rien ne sera comme avant. Lentement mais sûrement, le changement interviendra au Burkina Faso. Il est irréversible. Il faut travailler à ce qu’il soit républicain. Autrement, l’on crée les conditions d’une implosion sociale qui risque d’être préjudiciable à la paix et la stabilité sociales qui font encore du Burkina, un îlot tranquille dans un océan agité. Il n’y a que le CDP et les associations de soutien au Président qui ne se rendent pas compte de l’usure du pouvoir et de ses conséquences désastreuses sur les conditions de vie des populations. L’on comprend que le parti au pouvoir n’ait pas suffisamment de recul pour se rendre compte des conséquences de sa gestion peu orthodoxe des affaires publiques depuis sa naissance. Même ses propres militants grognent tantôt en sourdine tantôt publiquement. C’est en cela que le nettoyage de la scène politique des équilibristes et des plaisantins est une belle opportunité. Il n’y aura certainement pas trop de candidats pour la prochaine présidentielle. Et une bonne mobilisation de tous les déçus du système et des opposants traditionnels pourrait donner un intérêt certain à cette élection. L’alternance ne sera certainement pas pour 2010. Mais 2010 pourrait être un signal fort que l’heure du changement a sonné au Faso. En gros, 18 mois nous séparent de cette présidentielle. D’ici là, bien des choses pourraient changer en faveur du pouvoir ou de l’opposition. Chacun saura certainement saisir l’opportunité.

Par Boureima OUEDRAOGO

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