samedi 9 mai 2009

GESTION ILLEGALE DE PARCELLES: Des ministres, des maires, des DG et un pasteur dans des affaires brûlantes

Les lotissements suscitent, depuis une dizaine d’années, des levées de boucliers à Ouagadougou et dans bien d’autres communes. Les procédures d’attribution sont entachées d’irrégularités ou de pratiques illicites. Le cas des attributions de terrains à usage autre que d’habitation dans l’arrondissement de Bogodogo, dans la commune de Ouagadougou, est pour le moins troublant. Des terrains sont mis à la disposition de certaines personnalités. Et on assiste à des trafics d’influence, des accords de principe avant la constitution des dossiers par les demandeurs. Même des ministres du gouvernement Tertius Zongo y ont trempé: Odile Bonkoungou de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation et Vincent Dabilgou de l’Habitat et de l’Urbanisme.

Par courrier en date du 16 juin 2008, le maire de l’arrondissement de Bogodogo, Zenabou Drabo, actuellement députée à l’Assemblée nationale, met à la disposition du directeur général de l’urbanisme, du directeur du cadastre et du receveur des domaines et de la publicité foncière de Bogodogo, des terrains à usage autre que d’habitation pour d’éventuels demandeurs. 23 lots de parcelles ont été mis à la disposition de ces trois personnalités: les directeurs du cadastre et de l’urbanisme ont bénéficié chacun de 7 lots. Le receveur, lui, en a reçu 9. Madame le maire a mis à la disposition de son service des domaines et de l’habitat, 15 autres lots. Au total, 38 lots (336 parcelles) aux secteurs 29 et 30. Cette pratique est pour le moins illicite et suspecte. Pourquoi madame le maire met-elle des terrains à la disposition de responsables de services qui n’ont pas compétence pour attribuer ces terrains à des demandeurs ? Qu’en ont-ils fait? Que sont devenus ces terrains ?
La procédure d’attribution de ce type de terrains ne prévoit pas de mise à disposition. Les textes disposent que tout demandeur de ce type de terrain identifie le terrain où il souhaite investir et constitue son dossier de demande et le soumet à l’appréciation des services compétents avant que le maire ne prenne l’arrêté d’attribution. En clair, si un promoteur de projet (construction d’une école, une clinique, un siège d’une entreprise, où tout autre bâtiment exigeant de tels espaces), veut acquérir un terrain à usage autre que d’habitation, il peut identifier lui-même le terrain physiquement, vérifier au niveau des services compétents (par exemple au cadastre) si le terrain correspond au type d’activités qu’il veut mener et s’il n’est pas déjà attribué. Une fois ces informations obtenues, il doit constituer son dossier. Sur cette question, les textes sont suffisamment précis: le dossier se compose d’une demande adressée au maire sous couvert du service des domaines territorialement compétent (ici le receveur des domaines et de la publicité foncière de Bogodogo) en 4 exemplaires sur imprimé fourni par l’administration dont le premier exemplaire est soumis au droit de timbre; de deux photocopies légalisées de la pièce d’identité pour les personnes physiques, des statuts ou toutes pièces justifiant de la régularité de leur constitution pour les personnes morales; d’un plan à l’échelle orienté au Nord en quatre exemplaires visé par le service du cadastre territorialement compétent; d’un devis estimatif et descriptif en quatre exemplaires; d’un croquis d’implantation en quatre exemplaires et de l’avis des services compétents s’il y a lieu.
Le demandeur dépose son dossier auprès des services du receveur des domaines et de la publicité foncière territorialement compétent. A son tour, ce dernier le transmet à la direction de l’urbanisme, au cadastre et au ministère technique concerné pour avis. Une fois ces avis recueillis, le receveur transmet le dossier à la mairie pour décision. Généralement, si tous les avis sont favorables, il propose au maire un projet d’arrêté d’attribution. Il convient de préciser qu’avec le lancement par la direction générale des impôts du Guichet unique du foncier, tout demandeur de ces terrains doit déposer sa demande à ce guichet, en ce qui concerne la ville de Ouagadougou

Les ministres et les autres

Voilà donc la procédure. Nulle part, il n’est prévu une mise à disposition des terrains à des personnalités. Mais madame Drabo, sans ignorer la procédure légale, a chosi de faire autrement. Son successeur, Sandaogo Henri Kaboré, semble lui emboîter le pas. En tous cas, il donne des accords de principe à des demandeurs avant de les inviter à prendre attache avec «les services techniques en vue de régulariser cet accord de principe par des actes réglementaires». Et tout cela se passe officiellement. C’est par courrier officiel que le maire a mis les 38 lots à la disposition des trois personnalités citées et de son service des domaines et de l’habitat. Il en est de même pour les accords de principe donnés par son successeur.
Parmi les bénéficiaires de ces accords, il y a le ministre Odile Bonkoungou de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation. Elle a demandé un terrain au profit de l’Association des amis du roi du Bahrein au Burkina. Il y a aussi la SOTRACO (Société de transport en commun de Ouagadougou) pour l’obtention d’un espace réservé aux bus à Balkuy. Le représentant au Burkina de l’Association « Faso savoir », Edmond Hien, a aussi obtenu un accord de principe à sa requête de terrain pour la construction du siège de son association et «d’une bibliothèque au profit de la population». Des personnes physiques dont Adama Zigani (médecin), Mamadou Sawadogo et Justine Kisbedo ont également acquis l’accord de principe du maire avant la constitution de leurs dossiers de demande, respectivement pour la construction d’une clinique, d’un centre communautaire du réseau national des associations des personnes infectées et affectées par le VIH/SIDA et d’une garderie d’enfants.
Mais il n’y a pas que le maire Kaboré qui donne les accords de principe. Le ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, Vincent Dabilgou, faisant suite à une «demande de terrain pour la construction d’un complexe scolaire» qui lui a été soumise par le Pasteur Jean-Baptiste Rouamba, a répondu favorablement en lui proposant la parcelle 00 du lot 06 de la section 439, d’une superficie d’environ 18 000 m2, situé au secteur 28, arrondissement de Bogodogo. Dans une correspondance adressée au pasteur en juin 2008, le ministre Dabilgou l’invite, au cas où cette proposition lui conviendrait, de «prendre attache avec les services techniques, notamment la Direction générale de l’urbanisme et des travaux fonciers pour l’identification physique du terrain et la Direction générale des impôts du ministère de l’Economie et des Finances pour les modalités d’affectation». Le pasteur s’exécute. Mais un autre demandeur avait un dossier avancé sur cette parcelle. Il s’agit d’un certain Inoussa Pierre Claver Yelbi. Son dossier avait obtenu les avis favorables requis et était presque bouclé; il ne restait plus que l’arrêté d’attribution. Finalement, du fait de l’immixtion du ministre, son dossier est confronté à des blocages. Le directeur général de l’urbanisme qui avait donné un avis favorable à la requête de Pierre Claver Yelbi s’est rétracté. Le 3 mars 2009, il adresse une correspondance au Receveur des domaines et de la publicité foncière de Bogodogo. Il s’appuie sur la correspondance du ministre pour retourner sa veste. Il donne ainsi sa préférence au dossier du pasteur. Le DG précise que depuis juin 2008, il attendait « un dossier en règle sur ce terrain par le pasteur (…) Malheureusement, pour des raisons d’insuffisance d’ampliation, nous avons malencontreusement émis aussi un avis favorable à monsieur Inoussa Pierre Claver Yelbi qui sollicitait le même terrain. Par la présente et compte tenu du fait que l’accord de principe du ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme date du 11 juin et précède le dossier de Inoussa Pierre Claver Yelbi, je vous invite à considérer en priorité le dossier du pasteur Jean-Baptiste Roamba» Les interférences du ministre ont ainsi influencé le traitement d’un dossier qui ne relève pas de sa compétence. Si son collègue des Finances et du Budget se comporte comme lui, les demandeurs comme Pierre Claver Yelbi n’auraient pas de terrain, même s’ils sont porteurs de projet d’investissement d’utilité publique.

Et voici les «parrains»!

Il convient de préciser que les accords de principe concernent des terrains situés au secteur 28, excepté celui requis par la SOTRACO qui est situé dans le village de Balkuy.
Selon des sources proches du milieu, les terrains mis à la disposition de ces personnalités sont attribués à des demandeurs «parrainés». Ainsi, tout demandeur d’un de ces terrains doit être «parrainé» par la personnalité à la disposition de laquelle le terrain a été mis. Le «parrain» identifierait d’éventuels demandeurs à qui il donne toutes les références. Etant donné que le dossier repasse par ses services pour avis technique, un dossier autre que celui qu’il parraine n’a de chance d’obtenir sans son avis favorable. Mieux, toutes les personnalités concernées seraient informées des références des terrains mis à la disposition de chacune d’entre elles. Un dossier soutenu par un parrain aurait plus de chance d’obtenir un avis favorable non seulement du parrain, mais aussi des autres personnalités.
Faux, rétorque l’un des parrains qui a requis l’anonymat. «Cette mise à disposition n’influence en rien la procédure d’attribution. Ce n’est pas nous qui décidons. Nous n’émettons que des avis techniques. Le maire a simplement voulu nous informer. J’ai informé mes collaborateurs mais personne ne remplit les conditions pour accéder à ces terrains. Personnellement, je ne sais pas ce que deviennent les terrains mis à ma disposition», explique-t-il.
La loi autorise des demandes concurrentes sur la même parcelle. Et c’est le dossier qui aura présenté le meilleur projet d’investissement et conforme à l’affectation initiale du terrain dans le plan de lotissement qui l’emporte. Mais est-ce toujours le cas? Pas si sûr! Certains demandeurs qui se sont retrouvés en concurrence avec d’autres, affirment avoir été victimes de ces «parrainages». Le cas le plus flagrant est le dossier parrainé par le ministre Dabilgou.
L’affaire est grave: l’une des trois personnalités (le receveur des domaines et de la publicité foncière) est à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) depuis le 26 décembre 2008 pour, dit-on, détournements ou non reversements de taxes perçues. On parle de près de 200 millions de FCFA. Son intérimaire hérite de dossiers corsés mais déclare ne pouvoir nous en parler sans l’autorisation de son chef de division fiscale. Ce dernier affirme lui aussi, ne pouvoir ni nous recevoir ni instruire l’un de ses collaborateurs de nous recevoir sans l’autorisation expresse du DG des impôts. Ainsi va la République!
Boureima OUEDRAOGO
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Voici les terrains mis à disposition
· Receveur des domaines et de la publicité foncière de Bogodogo
- Section 446 lot 39 parcelle N°01 à 13, secteur 29
- Section 446 lot 42 parcelle N°01 à 12, secteur 29
- Section 446 lot 43 parcelle N°01 à 06, secteur 29
- Section 449 lot 01 parcelle N°01 à 11, secteur 29
- Section 449 lot 45 parcelle N°01 à 10, secteur 29
- Section 449 lot 46 parcelle N°01 à 10, secteur 29
- Section 775 lot 22 parcelle N°01 à 07, secteur 30
- Section 777 lot 01 parcelle N°01 à 08, secteur 30
- Section 777 lot 01 parcelle N°01 à 07, secteur 30

· Directeur général du Cadastre

- Section 779 lot 15 parcelle N°01 à 08, secteur 30
- Section 779 lot 16 parcelle N°01 à 08, secteur 30
- Section 779 lot 28 parcelle N°01 à 08, secteur 30
- Section 779 lot 29 parcelle N°01 à 05, secteur 30
- Section 779 lot 33 parcelle N°01 à 07, secteur 30
- Section 774 lot 51 parcelle N°01 à 07, secteur 30
- Section 744 lot 52 parcelle N°01 à 05, secteur 30

· Directeur général de l’urbanisme

- Section 455 lot 04 parcelle N°01 à 10, secteur 29
- Section 455 lot 06 parcelle N°01 à 08, secteur 29
- Section 455 lot 07 parcelle N°01 à 10, secteur 29
- Section 774 lot 20 parcelle N°01 à 09, secteur 30
- Section 774 lot 21 parcelle N°01 à 07, secteur 30
- Section 774 lot 22 parcelle N°01 à 07, secteur 30
- Section 774 lot 53 parcelle N°01 à 09, secteur 30

· Service des domaines et habitat de la mairie de Bogodogo

- Section 447 lot 52 parcelle N°01 à 14, secteur 29
- Section 447 lot 53 parcelle N°01 à 10, secteur 29
- Section 447 lot 54 parcelle N°01 à 12, secteur 29
- Section 448 lot 17 parcelle N°01 à 05, secteur 29
- Section 448 lot 42 parcelle N°01 à 10, secteur 29
- Section 448 lot 43 parcelle N°01 à 14, secteur 29
- Section 750 lot 07 parcelle N°01 à 08, secteur 29
- Section 750 lot 08 parcelle N°01 à 12, secteur 29
- Section 750 lot 19 parcelle N°01 à 10, secteur 29
- Section 773 lot 10 parcelle N°01 à 09, secteur 30
- Section 773 lot 37 parcelle N°01 à 07, secteur 30
- Section 773 lot 42 parcelle N°01 à 10, secteur 30
- Section 776 lot 01 parcelle N°01 à 09, secteur 30
- Section 776 lot 41 parcelle N°01 à 07, secteur 30
- Section 776 lot 42 parcelle N°01 à 07, secteur


Plus grave à Boulmiougou?

Selon des sources dignes de fois, la situation dans l’arrondissement de Boulmiougou serait «pire que partout». Les dossiers pendants y sont très nombreux. L’on cite entre autres le procès verbal d’attribution des parcelles de la section EA qui moisit depuis bientôt deux ans à la mairie. Cette dernière tarde à le transmettre aux Domaines sous prétexte qu’il y aurait des erreurs. Lesquelles? Mystère et boule de gomme. Pourtant, tant que le procès verbal n’est pas transmis aux Domaines, il est difficile pour les attributaires d’entreprendre toutes les démarches nécessaires à la mise en valeur de leurs terrains et d’avoir tous les documents y relatifs. Que se passe-t-il, madame le maire ?
B.O

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