lundi 16 mars 2009

PAYS DES HOMMES INTEGRES: Vers une descente aux enfers?

Le Burkina Faso va mal, très mal. Le pays des hommes intègres est en proie à une crise d’éthique aux plans politique et économique. Depuis plus d’une décennie maintenant, on assiste à une lente descente dans les abîmes, à la déstructuration des fondements du tissu social. Le pouvoir et l’argent sont devenus les seules valeurs cardinales du vivre-ensemble. Au nom donc de ces deux valeurs, la société burkinabè est progressivement prise en otage. Toute chose qui engendre inéluctablement le sentiment que le Burkina Faso n’appartient qu’à des groupuscules d’individus qui se permettent tout: voler, frauder, intimider ou menacer et même assassiner en toute impunité.

Dans notre toute première édition en juillet 2007, nous écrivions ceci: «La société burkinabè est divisée aujourd’hui entre, d’une part, une minorité de privilégiés à qui la République a tout donné (le pouvoir et la richesse), et d’autre part, une majorité silencieuse que cette même République a condamnée à la misère économique et sociale (…) Lorsque dans une société, les règles éthiques, la probité, le sens de l’honneur et de la dignité, le sens du bien commun, du service public, la solidarité et l’entraide ne sont plus des valeurs fondamentales de la vie en communauté, c’est la porte ouverte aux pratiques les plus sordides et immorales (la cupidité, le vol, le meurtre, etc.)» Aujourd’hui, l’on est fondé à croire que ces groupuscules d’insatiables ont fini par se convaincre que le Burkina Faso est leur propriété privée et que seuls comptent leurs intérêts égoïstes et bassement matériels. Au nom donc de ces intérêts, ils sont prêts à tout et se donnent tous les droits y compris le droit de vie sur leurs semblables. Pire, les institutions de la république censées être les gardiennes du temple, ont du mal à s’affirmer légitimement en jouant pleinement leur rôle. Pouvait-il en être autrement quand on sait que les institutions ne valent que par les hommes et les femmes qui les animent? Même quand certaines institutions, notamment de contrôle de la gestion des affaires publiques, produisent des rapports dignes d’intérêts, le gouvernement affiche une indifférence à la limite du mépris. Pour preuve, pendant longtemps les rapports de l’inspection d’Etat ont été tenus secrets et rangés dans des placards scellés. Ensuite, il y a les différents rapports de la Cour des comptes qui révèlent des cas de malversations, de mauvaise gestion de deniers publics, de violations des textes et règlements en matière de passation de marchés publics. Le Président du Faso (à qui sont remis les rapports) et ses différents gouvernements, après avoir promis des suites, n’ont pas bougé le moindre petit doigt. Puis vint le dernier rapport remis officiellement au Premier magistrat de ce pays en décembre 2008 qui serait passé inaperçu si la presse (même si certains confrères semblent avoir pris parti pour des personnalités incriminées) ne s’en était pas saisie.

Silence, silences…

Pour revenir aux gaffes dans la gestion des affaires publiques, l’on se souvient de la réhabilitation de l’hôtel de ville de Ouagadougou à plus d’un milliard de nos francs, révélée par la Cour des comptes dans son rapport rendu public en 2007 et qui avait suscité un tollé. Mais les suites se font toujours attendre. Pourtant, de nombreuses irrégularités dans la passation des marchés relatifs à cet investissement incompréhensible ont été constatées. Là encore, il n’y a eu que la presse pour porter les débats. Le gouvernement, lui, a choisi le silence comme à son habitude. Au niveau de l’opinion, il n’y a eu non plus de réaction. Et pourtant, Simon Compaoré, le maire de Ouagadougou, s’était dit prêt à répondre partout ou besoin sera. Mais personne ne l’a interpellé nulle part pour demander des comptes. La presse, elle, avait fait son travail.
La Cour des comptes est revenue encore à la charge en mettant cette fois à nu, des pratiques quelque peu irresponsables dans la gestion de la caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), le non respect des textes sur le financement des campagnes électorales par des candidats à la plus haute fonction de l’Etat dont le Président Blaise Compaoré et bien d’autres cas de mauvaise gestion des collectivités locales, de sociétés d’Etat, etc. Quelles suites les Burkinabè devraient attendre du gouvernement ? Au risque d’être taxé de négativiste, l’on a tout de suite envie de répondre qu’il ne faudrait rien attendre de ce gouvernement par rapport à ces cas. Sauf s’il y a une pression sociale forte. Là aussi, il ne faut pas rêver. Les Burkinabè ont fini par s’accommoder de ces pratiques de copinage dans la gestion des biens publics. Comme d’habitude, le premier ministre a encore affirmé que tout sera mis en œuvre pour tirer au clair les cas dénoncés par la Cour des comptes. Mais a-t-il les moyens et le courage d’aller jusqu’au bout ? Rien n’est moins sûr ! Trois des personnes concernées sont au cœur du pouvoir: un ministre, un ambassadeur et un représentant spécial du Président du Faso. Toutes ces pratiques frauduleuses sont les conséquences du système de gouvernance du pouvoir en place. C’est par ce jeu de passe-droits qu’il se maintient. Et Tertius Zongo, acteur et produit du système, ne peut véritablement mettre de l’ordre dans l’arène du pouvoir sans scier la branche sur laquelle il est assis. Son prédécesseur, Paramanga Ernest Yonli, lui, l’a vite compris et s’est assis sur la constitution en souscrivant à des ventes à crédits d’immeubles par la CNSS. Pourtant, sauf avis contraire, au terme des articles 73 et 74 de la constitution du Burkina Faso, il n’y avait pas droit. Dans cette affaire, au-delà du non respect des engagements contractuels, il y a le fait que des fonctionnaires de l’Etat se sont permis de s’octroyer des villas de plus de 50 millions à 110 millions de FCFA. Même le Président du Faso ne peut, selon la règlementation, se permettre un tel engagement avec son salaire mensuel officiel de 1 800 000 FCFA. En matière de prêts, la quotité cessible est le tiers du revenu mensuel. Un premier ministre burkinabè, un ambassadeur ou un DG de la CNSS sont-il mieux payé que le Président du Faso ? Si non d’où tiennent-ils les ressources qui leur permettent de s’engager à payer des villas de plus de 50 millions ou de 110 millions ? D’autant plus qu’il fallait verser la moitié à la signature du contrat soient 26 et 55 millions). Voilà le vrai débat de fond. Et il faut se réjouir que l’opposition à travers le Groupe du 14 février se saisisse de ces questions de fonds. Toutefois, il faut espérer que ce ne soit pas seulement de simples interrogations autour d’une conférence de presse avec des déclarations sans lendemain.

«Le pire, c’est le silence des gens biens»

Cette affaire mérite bien que les Burkinabè, surtout les syndicats et les assurés de la CNNS, demandent des comptes aux gouvernants. Les fonds de la CNSS proviennent des cotisations sociales des travailleurs et de leurs employeurs pour la retraite. Il n’est pas tolérable que ces fonds soient gérés comme une boutique de quartier. Il faudrait repenser la gestion de la CNSS qui ne devrait être la vache à lait de personne. Et l’Etat devrait arrêter de solliciter de la CNSS des investissements aussi onéreux que la construction de villas à chacune des grandes manifestations qu’il organise. Ces pratiques pourraient entraîner des situations dommageables pour l’institution et compromettre dangereusement la retraite de milliers de travailleurs.
Le Premier ministre aime répéter que chaque Burkinabè doit dénoncer à l’autorité les pratiques de corruption ou de mauvaise gestion des deniers publics afin que celle-ci puisse engager toutes les procédures requises. Dans le cas de la CNSS, le rapport de la Cour des comptes a couché noir sur blanc, en 28 pages (184 à 211), des cas flagrants et certainement avec des preuves irréfutables. Si ce sont des preuves dont le Premier ministre a besoin pour agir, il est très bien servi et dispose là de quoi secouer le cocotier. En tout cas l’opinion le prendra au mot.
L’assainissement de la gestion des affaires publiques ne se limite pas aux contrôles de l’usage abusif des véhicules automobiles de l’Etat, à la pression sur les douaniers et autres agents du ministère de l’Economie et des finances. La rigueur de la loi doit s’appliquer aussi à ceux qui violent les textes au nom de leurs seuls intérêts égoïstes, quels que soient leurs rangs. Les sanctions, parfois disproportionnées, de quelques petits fonctionnaires indélicats ne suffisent pas non plus. En la matière, le vrai combat qui vaille aujourd’hui c’est d’engager une lutte sans merci contre la patrimonialisation de l’Etat et de ses biens par des cercles politico-économiques, ces alliances d’intérêts qui se construisent des empires sur le dos des Burkinabè.
Dans ce pays, tout se sait. Et l’on connaît les trajectoires socioprofessionnelles et même filiales de chacun. Bien des milliardaires d’aujourd’hui ont hérité de peu de choses, sinon de rien du tout. Comment ont-ils pu bâtir des fortunes colossales en quelques années? Certains de ces nouveaux riches continuent d’émarger au trésor public, c’est-à-dire que ce sont des fonctionnaires de l’Etat. Pendant que des professeurs d’université perçoivent des misères, des hommes et des femmes qui n’ont de mérite que d’être copains de tel ou tel «môgô puissant» (les hommes forts) ou d’avoir été nommés à tel ou tel poste de responsabilités, font leur entrée tonitruante dans le cercle très select des privilégiés de la République où le luxe le dispute à l’opulence, l’arrogance au mépris. Tout se passe comme si dans ce cercle, l’on est engagé dans une course effrénée à l’enrichissement à tout prix. La fin justifiant les moyens, on se préoccupe très peu de morale, d’éthique. Pire, ils ne craignent même pas le regard des autres. Ils n’ont certainement pas tort puisque personne ne s’en offusque véritablement si ce n’est que par des gesticulations sans lendemain. Mais comme le dirait feu notre confrère Norbert Zongo, «le pire n’est pas la méchanceté des gens mauvais mais le silence des gens bien». Que des individus parvenus à l’opulence par le hasard de l’histoire s’accrochent à leurs intérêts au point de défier tous les commandements de Dieu et les lois de la république est déjà inquiétant. Mais que des millions d’hommes et de femmes confinés dans la misère assistent, insouciants, au pillage organisé des maigres ressources est assez révoltant. Plus grave, l’impression générale qui se dégage des comportements de nombreux citoyens est qu’il y a comme une prime et un encouragement au vol. En effet, au lieu d’être stigmatisés et dénoncés, les nouveaux riches sont courtisés par d’autres rapaces qui ne rêvent que d’opportunités de pouvoir s’enrichir également par la courte échelle. Pour l’argent, beaucoup de Burkinabè sont prêts à tout. Ainsi, l’on a vu par exemple dans l’affaire Kossouka, qu’un responsable d’une société de gardiennage a accepté de mettre ses agents à la disposition des commanditaires d’une tentative d’assassinat. Que dire de tous ces jeunes qui sont convaincus que la seule porte de sortie de la misère c’est le proxénétisme, la prostitution, l’escroquerie et que savons-nous encore? Interrogez certains, ils vous répondront que «c’est le pays qui est devenu comme ça! Il faut profiter tant que tu peux!». Combien sont-ils aujourd’hui, les Burkinabè qui rêvent d’un Burkina de justice sociale, de bien-être collectif ? Ne sommes-nous pas en train de confondre l’intérêt général à la somme des intérêts individuels?

Promouvoir des espaces de débats démocratiques

Et l’Etat dans tout cela ? «L’Etat est mort au Burkina. Personne ne croit en l’Etat sauf ceux qui en profitent. Nous sommes tous à la fonction publique pour le salaire et si on a meilleure proposition on fout le camp», nous a confié, déçu, un cadre de la Fonction publique. Il n’est certainement pas le seul à penser ainsi. Normal, dira-t-on puisque tout le monde aspire à un mieux-être. Mais quand l’Etat n’est plus capable de porter les rêves et les aspirations à un mieux-être collectif de ses citoyens, il faut craindre le pire.
A la vérité, la situation de déliquescence sociopolitique et économique dans laquelle plonge progressivement le Burkina Faso n’est que la résultante de l’essoufflement du pouvoir en place. Les longs règnes sont toujours sources de chaos et le Burkina et ses dirigeants actuels ne feront pas l’exception. La seule alternative qui reste, c’est l’instauration d’un véritable processus démocratique qui ne se limite pas seulement à l’organisation régulière d’élections, de reconnaissance de quelques principes démocratiques comme la liberté d’expression, la liberté de culte, etc. La démocratie, c’est un ensemble inséparable de principes et de règles qui commencent par la limitation dans le temps, de l’accès au pouvoir et à son exercice, la séparation des pouvoirs, l’égalité de tous les citoyens en droit et en devoir, etc.
Si donc le gouvernement continue de fermer les yeux sur ces prédateurs du patrimoine national, il appartient aux citoyens de se réveiller et de lui demander des comptes. Après tout, l’Etat de droit exige aussi le contrôle citoyen de l’action publique. Il faut nécessairement que s’organise dans ce pays, un mouvement de veille citoyenne, un mouvement suffisamment fort et dissuasif. Un tel mouvement pourrait contribuer à dissuader les délinquants à col blanc qui s’amusent avec l’argent public, et redonner de la vitalité au processus démocratique. Aujourd’hui plus que jamais, il faut promouvoir des espaces de débats démocratiques et d’interpellation pour un réel contrôle citoyen de l’action publique. Etant entendu que tout pouvoir sans contre-pouvoir a tendance à s’éterniser et à pratiquer plus une gouvernance de jouissance que d’action, il faut enfin créer des garde-fous pour prémunir l’action publique des risques de dérives et des tentations d’appropriation privée du patrimoine national par des individus, des familles ou des clans.
Boureima OUEDRAOGO

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