lundi 16 mars 2009

EDITORIAL: Vendus d'aujourd'hui, pendus de demain!

Chasser le naturel, il revient au galop! Le mardi 20 janvier 2009, un quidam, mu par on ne sait quel intérêt ou instrumentalisé par de sombres individus aux desseins tout aussi lugubres, a décidé de nous envoyer un mail porteur d’un message assassin pour la liberté de la presse. On croyait révolue, cette époque du «si tu fais, on te fait et il n’y a rien». Ainsi, il existe encore dans ce pays des individus malheureux et malfaisants qui croient faire leur bonheur par le sang. Ces barbouses de la république pensent pouvoir remettre en cause la liberté de la presse conquise dans le sang et le sacrifice de Norbert Zongo. A analyser froidement cette abomination, l’on se rend compte qu’il s’agit là d’une suite logique du processus de liquidation des acquis de la lutte du peuple contre l’impunité. En effet, l’impunité de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons, entériné par le jet d’éponge du juge Wenceslas Ilboudo à travers le non-lieu prononcé en faveur du seul inculpé, Marcel kafando, est un facteur encourageant pour les assassins. Du reste, l’auteur du mail qui nous été envoyé en fait référence cyniquement en disant : «les gens ont crié, c’est pas fini ? ». Mais il n’y a pas que cela. Souvenons-nous de l’Affaire David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré, torturé à mort par des éléments de la garde rapprochée de son frère aîné. L’un des assassins, condamnés à 10 ans de prison a bénéficié de la grâce présidentielle et n’a donc pas purgé l’entièreté de la peine que lui a infligée le Tribunal militaire en août 2000. Il est vrai que la grâce présidentielle relève du droit et des prérogatives du chef de l’Etat. De là en faire bénéficier des individus reconnus coupables d’assassinat et de torture, il y a de quoi inquiéter les honnêtes citoyens. Et justement le bénéficiaire de cette grâce et le seul inculpé bénéficiaire lui aussi du non-lieu, font parties des «suspect sérieux» dans l’affaire Norbert Zongo. Doit-on alors s’étonner que la justice burkinabè ait fait le choix de l’immobilisme, contribuant ainsi à encourager les bandes d’assassins à continuer leurs activités macabres?
Mais au-delà de la justice, cette situation est encouragée par le fait que le peuple burkinabè dans sa majorité donne l’impression de s’être résigné à accepter et même vivre dans l’arbitraire. L’impunité s’explique certainement en partie par cette situation. Comment dans un pays, peut-on tuer le rêve de millions de gens sans que ceux-ci ne se donnent les moyens d’exiger leur droit de rêver d’un monde meilleur que celui que les seigneurs d’aujourd’hui nous ont imposé depuis le 15 octobre 1987, voire même avant ? «Au nom de quoi, au nom de qui l’on nous traite comme ça ?», s’était écrié le groupe de Rapp Yeleen ! Le drame, bien de citoyens de ce pays ont fini par s’en convaincre, c’est une fatalité de vivre dans la misère économique et morale pendant que les pyromanes de la république s’arrogent tous les droits.
Comme l’a écrit Gérard de Nervalles, «lorsque l’âme flotte incertaine entre la réalité et le rêve, entre le désordre de l’esprit et le retour de la froide réflexion, c’est dans la pensée religieuse que l’on doit chercher des secours». Effectivement, de nombreux Burkinabè semblent avoir épousé cette philosophie, convaincus qu’avec la poussée exponentielle de l’égoïsme, de l’hypocrisie, du vol et de la méchanceté, l’homme n’est plus bon pour l’homme, et que de lui, il ne faut plus rien attendre. Dans cette jungle où seul compte l’intérêt personnel, il n’y a point d’amitié, d’amour, de parenté. Il n’y a que le pouvoir et l’argent ! C’est le retour du darwinisme d’un autre genre où les riches sucent les pauvres jusqu’à leur sang et les forts écrasent, avec beaucoup de plaisir, les faibles. Pour les faibles, le pays est devenu un ghetto où «chacun se place et Dieu le pousse». Tant pis pour celui qui se place mal. Ainsi foisonnent les clans, les sectes, les gangs, et autres associations de malfaiteurs. Pendant ce temps, les églises, les temples, les mosquées ne désemplissent pas non plus. Aussi curieux que cela puisse paraître, la religion prend une place importante dans notre société. Toute chose qui est en soi salutaire. Seulement, pour bien des nouveaux fidèles, elle est simplement un refuge. A défaut de compter sur l’homme, l’on s’en remet à Dieu le père. Lui au moins ne fait pas la différence entre ses fils, qu’ils soient riches, pauvres, forts ou faibles. La preuve en est que nous sommes tous mortels et poussière nous sommes, poussière nous redeviendrons. Tous, sans exception!
Pour notre part, nous continuerons de faire notre travail. Nous ne sommes pas des Kamikazes. Et nous n’avons pas non plus fait vœu de pauvreté. Nous aspirons aussi à une vie meilleure, mais dignement. Notre conviction profonde est que l’on ne peut être heureux dans un océan de misère. A tous ceux qui nous apportent leur soutien depuis le début, nous leur en sommes reconnaissants. Aux pyromanes de la république, nous leur rappelons le sort de certains de leurs devanciers dont les plus chanceux végètent aujourd’hui dans les méandres de la misère noire tout comme ceux qu’ils terrorisaient à leurs moments de gloire. Ils sont plus nombreux ceux qui ont disparu sans laisser de trace. Comme nous l’a rappelé amèrement le fils ainé de Norbert Zongo, «vendus d’aujourd’hui, pendus de demain».
Boureima OUEDRAOGO

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