lundi 2 février 2009

ALTERNANCE ET ALTERNATIVE AU BURKINA: Politiciens incompétents?

Dans deux ans exactement, Blaise Compaoré achèvera son troisième et avant dernier mandat à la tête du Pays des hommes intègres. Sauf cas de force majeur, il sera encore de la course, pour la quatrième fois, à sa propre succession. Et naturellement, il sera vainqueur avec un score stalinien. A moins qu’il ne décide de nous sortir encore un de ses coups politiques auxquels il nous a habitués depuis un certain 15 octobre 1987. Mais il ne faut pas trop s’y attendre. Car rien dans sa gestion du pouvoir ne donne des signes d’une volonté de prendre une retraite, même après 23 ans de règne. Il se pourrait même qu’il soit tenté par une nouvelle relecture de la constitution pour lui permettre de briguer un cinquième, un sixième mandat et autant de fois qu’il lui sera possible. Et tout le monde, y compris l’opposition, se retrouvera, après de fébriles protestations sans lendemain, soit à applaudir, soit à critiquer. Et pourtant, il y a un combat avant-gardiste à mener dès maintenant: celui de l’inviolabilité de la constitution à travers la clause limitative du mandat présidentiel (l’article 37).

Osons lancer le débat! C’est du reste l’une des plus graves insuffisances du processus démocratique burkinabè : l’absence de débats politiques dignes de ce nom. Et pourtant, ce n’est pas la matière qui manque. Les supports non plus. Seule la presse dans toutes ses composantes assure la réalité du débat démocratique. La scène politique manque cruellement de substance et parfois d’idées mobilisatrices. Les acteurs politiques, majorité comme opposition, étalent à chaque occasion des limites criardes. Le personnel politique au Burkina est simplement, disons-le, incompétent, en panne d’inspiration. La politique, a-t-on coutume de dire, est un art. Mais ici, pas besoin de compétences particulières pour avoir une place de choix sur l’échiquier politique. Il suffit d’être dans les bonnes grâces du prince ou des chefaillons, où encore d’être un bon griot de la cour et le tour est joué.
Face donc à cette regrettable situation, il est impératif de réhabiliter la politique et lui donner ses lettres de noblesse à travers un renouvellement du personnel politique, du sommet à la base. Cela passe par la création des conditions d’une alternance et d’une alternative démocratiques qui ne peuvent être possibles sans un sursaut national, un éveil de la conscience citoyenne à tous les niveaux.
Il faut donc que les Burkinabè s’engagent enfin pour un combat qui ait véritablement un sens au stade actuel de notre processus démocratique qui, visiblement, est en déroute. Il est temps que chacun arrête de se chatouiller pour rire en répétant, sans esprit de discernement, que notre pays est un exemple de démocratie, de stabilité. Stabilité oui. Mais démocratie ? Pas si sûr ! Et, à la vérité, si notre pays est un exemple de stabilité, c’est moins par le fait ni de Blaise Compaoré ni de qui que ce soit sur la scène politique. Le Burkina Faso est stable parce que tout simplement les Burkinabè veulent qu’il en soit ainsi. Presque tous les Burkinabè sont donc acteurs de cette stabilité, certains par esprit de tolérance, de patriotisme et d’autres par lâcheté, gourmandise et calculs politiciens.

Renaissance démocratique, précarité étouffante, insécurité ambiante

En vérité, les pratiques politiques, les modes de gestion du pouvoir et des affaires publiques tels que nous le constatons sous l’ère Compaoré sont loin d’inciter au calme, à la stabilité et à la paix. Qui ne se souvient pas que dans ce pays des individus dont le seul mérite était d’avoir des armes à la main terrorisaient d’honnêtes citoyens et même des ministres et déclaraient à qui voulaient les entendre que «si tu fais, on te fait et il n’y a rien» ? Qui ne se souvient pas que dans ce pays, un président a été assassiné et enterré comme n’importe quel quidam dans un cimetière devenu un dépotoir d’ordures ? Les chantres du progrès et de la paix avec Blaise Compaoré ont-ils oublié Guillaume Sessouma, Boukary Dabo, les paysans de Kaya-Navio, les enfants de Garango, David Ouédraogo, Norbert Zongo, les suppliciés de Pièla, et tous ces anonymes disparus parce que d’autres ont décidé de leur sort ? Est-ce ça la renaissance démocratique avec Blaise Compaoré ? En 21 ans, qu’a apporté cette renaissance démocratique avec Blaise Compaoré ? Une renaissance démocratique chèrement payée par le peuple en sang, en tortures morales et physiques, en paupérisation et baisse continue du pouvoir d’achat. Et 21 ans après, l’on en est toujours à se demander si l’on n’a pas trop cher payé pour si peu. En effet, dans cette renaissance démocratique avec Blaise Compaoré, Norbert Zongo a été assassiné et la justice, au nez et à la barbe du peuple, a classé le dossier sans suite ou plus exactement, selon la version officielle, en attendant des éléments nouveaux que personne ne recherche d’ailleurs. Dans cette renaissance démocratique, le ministre de la Justice ne se gène pas de déclarer qu’il y a deux catégories de justiciables: ceux qui ne sont pas «n’importe qui», donc ne peuvent pas être placés sous mandat de dépôt par un juge, et ceux qui le sont donc, assujettis à l’esprit et la lettre de la loi. Son prédécesseur avait même parlé de «juges acquis».
Dans cette renaissance démocratique avec Blaise Compaoré, un parti politique, en l’occurrence le CDP, a mobilisé des élèves policiers pour son cross de commémoration du 21ème anniversaire d’un évènement qui divise la nation. Toujours dans cette renaissance démocratique, les institutions républicaines budgétivores tiennent plus du symbole que de véritables instruments de régulation de la vie publique nationale. Dans cette même renaissance démocratique, enfin, n’importe qui peut siéger à l’Assemblée nationale, y compris des individus dont la seule évocation du nom provoque désolation et dégoût pour leur parcours qui n’ont rien d’honorable.
Quid du progrès, puisque c’est maintenant, le slogan trouvé par certains Burkinabè : la paix et le progrès avec Blaise Compaoré. Il y a certes eu des progrès significatifs. Cela, le bon sens n’autorise pas à le nier. Surtout pour nous autres journalistes qui jouissons de la liberté d’expression. Mais même là, cette liberté, avouons-le, nous la tenons réellement du sacrifice de Norbert Zongo. A ceux qui en doutent, nous les renvoyons aux publications et archives des différents organes de presse qui existaient déjà avant l’odieux crime de Sapouy.
En fait, la question que beaucoup de ces griots du palais ne se posent pas, est de savoir si nous n’étions pas capables de mieux au cours de 21 ans, avec d’autres équipes dirigeantes. Nul, à moins d’être devin et Dieu seul sait combien il y en a de faux dans ce pays, ne peut soutenir sérieusement le contraire. Puisque l’opportunité n’a pas encore été donnée au Burkina Faso d’expérimenter d’autres compétences, d’autres façons de voir, de concevoir et de gérer les affaires de l’Etat.
Dans ce Burkina Faso de progrès, la grande majorité des ménages végète dans une précarité socioéconomique et une insécurité qui étouffent tout espoir de lendemains meilleurs pendant qu’une minorité de privilégiés de la république baignent dans une opulence insultante. Point n’est besoin d’épiloguer sur ces discours qui sont en fait la traduction parfaite de l’incapacité de leurs auteurs à réfléchir au-delà des intérêts particuliers. Ce sont des débats inutiles qui dévient les regards des vrais enjeux de gouvernance, d’avenir. Chacun peut soutenir ce qu’il veut et l’histoire tranchera un jour. Mais il y a des combats qui méritent d’être menés. Parmi ces combats, il y a la défense de la constitution contre toute velléité de tripatouillage.

Préserver la constitution contre les révisions de complaisance

Les révisions constitutionnelles, juste pour l’intérêt d’une seule personne ou d’un groupe d’individus sont, pensons-nous, une violation de cette constitution. Il faut donc préserver la constitution dont les révisions complaisantes annihilent toute possibilité d’alternance et d’alternative. Il ne peut y avoir de démocratie sans alternance et nul ne peut prétendre être démocrate, s’il ne se donne pas un horizon temporaire dans l’exercice du pouvoir d’Etat. La démocratie, c’est un ensemble de principes dont la tenue régulière d’élections libres, transparentes et équitables, la limitation dans le temps de l’exercice du pouvoir, la séparation des pouvoirs avec des institutions républicaines indépendantes et au service des citoyens.
Regardons un peu autour de nous. Aucun pays dans la sous-région, sauf le Burkina et la Guinée, n’a le même président depuis plus de dix ans. Pour autant, sommes-nous plus heureux et plus fiers de notre pays que les citoyens de ces pays ? Combien de Burkinabè n’admirent-ils pas la vitalité de la démocratie au Mali et au Bénin par exemple ? Dans ces deux pays, il ne viendrait pas à l’idée des députés de vouloir réviser la constitution pour autoriser des troisièmes mandats aux Présidents en exercice. L’on est arrivé dans ces pays à faire de la constitution, quelque chose de réellement sacré. Pourquoi, la nôtre ne serait pas sacrée ? Et le jour où elle sera sacrée, le Burkina aussi pourrait se vanter d’être parmi les pays où s’enracine la démocratie. Car, n’en déplaise aux griots et autres flagorneurs du type Jacques Barrat (qui nous font l’insulte de nous apprendre notre histoire et la géopolitique du Burkina Faso), l’enracinement de la démocratie ne va pas de pair avec l’enracinement d’un pouvoir personnel.
Pour que la constitution du Burkina Faso soit sacrée, il appartient à tous les citoyens burkinabè, militants de partis politiques, de mouvements et associations de la société civile, les médias, de se mobiliser dès maintenant et de faire bloc pour s’opposer à toute tentative de révision. Et c’est maintenant qu’il faut organiser la veille dans les villes et campagnes. Ce n’est pas un combat partisan, mais un engagement patriotique. Il ne faudrait pas attendre que le projet soit transmis à l’Assemblée avant de se lancer dans des débats de rue et des manifestations sans lendemain. Avis donc aux organisations qui ont l’habitude d’initier des pétitions. C’est peut-être aussi une voie. Toujours est-il, qu’il faut nécessairement organiser un mouvement de veille citoyenne, un mouvement suffisamment fort et dissuasif. Un tel mouvement pourrait contribuer à redonner plus de vitalité au processus démocratique en instaurant enfin un réel contrôle citoyen de l’action publique et un espace de débats démocratiques et d’interpellation. Il pourrait jouer également un rôle de contre-pouvoir, étant entendu que tout pouvoir sans contre-pouvoir a tendance à s’éterniser et à pratiquer plus une gouvernance de jouissance que d’action.
Si nous ne sommes pas capables de défendre la constitution, il ne reste plus qu’à demander à Blaise Compaoré et à son gouvernement d’organiser un référendum pour instaurer la présidence à vie et la nomination par décret des députés et des conseillers municipaux. Cela éviterait que le pays investisse des milliards pour des élections pour consacrer chaque fois la victoire du même camp.
Il faut donc oser inventer l’avenir en s’élevant ensemble comme un seul homme pour le malheur de ceux qui bâillonnent leur peuple. C’est aujourd’hui qu’il faut commencer. Demain sera trop tard !

Par Boureima OUEDRAOGO

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