dimanche 23 août 2009

PRESIDENTIELLE EN COTE D’IVOIRE: Trop d’intérêts cachés

Les principaux protagonistes de la crise ivoirienne, notamment les éléphants de la scène politique (le Président Laurent Gbagbo et ses principaux challengers Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara) et le patron de l’ex-rébellion, aujourd’hui premier ministre, Guillaume Soro, réunis tous dans le cadre permanent de concertation sur le processus de sortie de crise, se sont retrouvés le 18 mai dernier à Ouagadougou, autour du facilitateur Blaise Compaoré. Ils ont fait le point des avancées et des difficultés dans la mise en œuvre de l’accord politique de Ouagadougou et entériné la date de la prochaine élection présidentielle. Cette élection semble devenue aux yeux de ces leaders politiques, du Facilitateur et même de la communauté internationale, la voie presqu’exclusive de sortie définitive de la crise. Mais ce scrutin suffira-t-il pour sortir la Côte d’ivoire de ce bourbier politico-identitaire et militaire? Au-delà de l’optimisme des protagonistes de ce processus de paix, l’on est fondé à s’interroger, tant la crainte que l’horizon s’obscurcisse davantage après cette fameuse élection est grande.

Depuis le 19 septembre 2002, le navire battant pavillon Côte d’Ivoire tangue en eaux troubles et cherche vainement une Côte paisible pour ses passagers meurtris par sept longues années d’errement. Après Lomé, Linas Marcoussis, Accra, Pretoria, c’est finalement au port sec de Ouagadougou au Burkina Faso qu’il s’est stabilisé. Du moins provisoirement. Là, les protagonistes, notamment armés, à savoir les rebelles et le pouvoir en place ont scellé un accord politique en mars 2007, sous l’égide du facilitateur Blaise Compaoré. Cet accord a consacré un partage du pouvoir exécutif pour assurer une sorte de transition vers l’organisation d’élections présidentielles libres, transparentes et équitables avec la participation de tous les ténors de la scène politique. Ce processus devait durer 10 mois. Mais plus de deux ans après, l’on en est à scruter l’horizon de cette présidentielle tant attendue. Après moult reports, une nouvelle date est fixée au 29 novembre prochain. Cette date sera-t-elle la bonne? Sera-t-elle réellement, au cas où elle se tiendrait, une voie de sortie définitive de cette crise sociopolitique qui prend des racines depuis la succession ratée au président Houphouët Boigny? A quand le retour réel de la paix et la stabilité politique et institutionnelle en Côte d’Ivoire? L’accord de Ouaga est-il véritablement la panacée tant recherchée? La bonne foi est-elle enfin revenue chez les protagonistes dont certains tirent énormément profit de cette situation de ni paix ni guerre?
« Après l’échec des ‘multilatéralismes inefficaces et étouffants’ dans les accords de paix en Côte d’Ivoire signés sous les auspices de la communauté internationale, le Président Koudou Laurent Gbagbo, a initié le dialogue direct avec les Forces nouvelles. Ce dialogue direct a abouti à la signature, le 4 mars 2007, de l’Accord politique de Ouagadougou. Parlant de cet accord dans une interview accordée à la Chaine de télévision sud-africaine, SABC News International et reprise par le quotidien d’Etat ivoirien Fraternité Matin du 17 baoût 2007, le Président affirme: «Je crois que c’est la dernière fois parce que là, c’est nous-mêmes qui avons composé les textes. C’est pour vous dire qu’on ne nous a pas imposé». A la question de savoir si les causes véritables de la guerre ont été prises en compte, Gbagbo rétorque que «c’est avec ceux qui avaient les fusils que nous avons négocié et signé ensemble. Donc je peux dire que tout a été pris en compte». (cf. Le Reporter N°003 de septembre 2007). C’était il y a bientôt deux ans maintenant. L’accord de Ouagadougou reste aujourd’hui encore le ciment du processus de paix. Il a fait l’objet d’accords complémentaires pour prendre en compte l’évolution du processus.
Pour Rappel, l’accord de Ouagadougou est intervenu dans un contexte de difficile cohabitation entre Gbagbo et son Premier ministre d’alors Charles Konnan Banny qui lui a été imposé par la communauté internationale à travers une résolution des Nations unies. Accusé de créer des blocages à la mise en œuvre des différents accords et résolutions pour sortir le pays de l’impasse, Gbagbo propose de négocier directement avec les «assaillants, agresseurs, terroristes, ou rebelles» d’hier. Le Président Gbagbo savait qu’il était sur une corde raide et devait sortir de cette situation de ni paix ni guerre mais aussi de la rivalité avec Konnan Banny qui avait, à ses yeux, trop de pouvoirs et entendait vaille que vaille, les exercer.
C’est donc presque contraint (d’aucuns soutiennent que la proposition du dialogue direct lui aurait été imposé de même que le facilitateur) que le président Gbagbo s’est engagé dans ce dialogue direct. «Nous n’avons pas gagné la guerre. C’est pourquoi, j’ai été obligé de signer l’accord de Ouagadougou», a-t-il révélé au cours d’une rencontre avec les forces de défense et de sécurité le 14 août 2007. Depuis Mars 2007 donc, Gbagbo est devenu fréquentable pour Soro et ses combattants (qui juraient de le débarquer du palais présidentiel) et vis-versa. Grâce à cet accord, l’ancien chef rebelle, Guillaume Soro, est entré dans la République par la grande porte. Il a atterri à la Primature, formant ainsi le duo de choc qui gouverne aujourd’hui la Côte d’Ivoire. Un attelage, pour le moins impensable, moins d’un an plus tôt.
Depuis donc mars 2007, le cap est mis sur la tenue de l’élection présidentielle comme la clé de sortie définitive de la crise. Pour y arriver, l’accord de Ouaga a prévu de nombreux préalables tels le processus d’identification, les audiences foraines, le désarmement, la réunification du pays et de l’armée (loyalistes et forces nouvelles), le démantèlement des milices, etc. Où en est-on aujourd’hui avec ces préalables? Plus de deux ans après, les opérations d’identification et de recensement électoral sont en bonne voie ou même très avancées, selon les conclusions de la 5ème réunion du cadre permanent de concertation (CPC). Tous les acteurs engagés dans le processus électoral sont unanimes pour dire que la date du 29 novembre 2009 est tenable pour l’organisation du premier tour de l’élection présidentielle. Cette élection devrait consacrer la reconduction de Gbagbo, le retour de Bédié ou enfin l’accession au pouvoir de Alassane Ouattara. En tout cas, tous les trois sont des prétendants sérieux.
Contentieux sociopolitiques
Ils semblent tous pressés d’en découdre les uns avec les autres à travers le suffrage universel. Visiblement enthousiastes, les deux ténors de l’opposition (Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara) sont sortis de cette réunion de Ouaga satisfaits de voir poindre à l’horizon l’espoir de réaliser leurs vieilles ambitions. Leurs différents Etats-majors sont mobilisés depuis de longues années et se préparent à l’assaut de l’électorat. D’ailleurs, tous semblent convaincus qu’en dehors des préalables électoraux (achèvement de l’enrôlement des électeurs, publication des listes électorales, distribution des cartes d’électeurs et d’identité), plus rien ne devrait empêcher la tenue des élections. Pas même le désarmement et le démantèlement des milices. Or, l’on se souvient que le camp présidentiel faisait de ces deux points une condition sine qua non pour la tenue des élections, même si à la dernière réunion de Ouagadougou, la question a été soigneusement évitée. Ce problème pourrait surgir à tout moment et bloquer à nouveau le processus. En tout cas, bien des observateurs estiment qu’en éludant les questions qui fâchent, on ouvre des brèches pour d’éventuels revirements de la part de certains protagonistes. Comment aller aux élections avec des éléments des Forces nouvelles qui doivent leurs positions actuelles aux armes et qui, manifestement, ne semblent pas encore prêtes à abandonner leurs privilèges? Certains d’entre eux soutiennent que le désarmement sera négocié avec le Président qui sera issu de la prochaine élection. On les voit venir! Mais tout le monde ferme les yeux.
Guillaume Soro, lui, en quatrième larron, joue définitivement son avenir politique. Il se retrouve entre le marteau de ceux qui l’ont fait roi, c’est-à-dire les anciens rebelles, et l’enclume de ses nouvelles responsabilités et de ses engagements politiques vis-à-vis des acteurs ivoiriens que de la communauté internationale. Il va devoir trouver les voies et moyens pour parvenir à cette hypothétique élection pour satisfaire les Eléphants politiques et la communauté internationale sans frustrer ni Gbagbo ni ses hommes qui, de plus en plus, grognent et contestent son autorité.
En clair, la clé du problème ivoirien réside moins dans les élections que dans le management des intérêts de groupes et de clans politico-militaires. A cela s’ajoutent les frustrations d’une importante partie de la population, exclue de toute possibilité d’expression de leur citoyenneté et qui ploie sous le poids d’une pauvreté endémique pendant que des seigneurs de guerre et d’autres opportunistes de tous genres qui restent accrochés à cette situation trouble, seule garantie de leurs richesses et privilèges indus. Que dire alors de toutes ces victimes ivoiriennes et non ivoiriennes de cette «sale guerre» qui n’a fait ni de gagnants ni de perdants, si ce ne sont les populations innocentes manipulées, exploitées et violentées? Doit-on passer tout cela en pertes et profits au nom d’une hypothétique élection présidentielle?
Le processus de sortie de crise tel qu’il est engagé pourrait produire l’effet inverse. Toutes les élections, dans la plupart de nos pays, même ceux qui sont en situation paix, sont porteuses de contentieux sociopolitiques lourds de dangers. Les dérapages que nous observons çà et là sur le continent sont des manifestations de mauvaise gestion de ces contentieux politiques. Et la crise ivoirienne, souvenons-nous, est née de cette mauvaise gestion post-électorale de ces enjeux de pouvoirs.
La démocratie ne se mesure pas seulement à l’aune de principes et règles standards et immuables. Ce sont des processus qu’il faut construire. Dans ces processus, il y a des hauts et des bas. L’important est de s’inscrire dans une dynamique qui permette de réfléchir sur des processus démocratiques qui n’excluent personne. Mais en Afrique, et particulièrement en Côte d’Ivoire, les processus depuis la disparition de Houphouët Boigny, se construisent dans des dynamiques d’exclusions. Or, quelles que soient les diversités, l’exclusion est un phénomène extrêmement mal vécu dans nos cultures africaines.
Et les Burkinabè tués?
L’accord politique de Ouagadougou, tout comme les précédents accords de paix en Côte d’Ivoire, semble résumer ces phénomènes d’exclusions aux seuls leaders politiques. Chaque fois, il est plus question de la participation de tous les leaders politiques à l’élection présidentielle. Et l’on en est à se demander quelle a été l’apport de la rébellion dans le renforcement du processus démocratique en Côte d’Ivoire. Ce sont les mêmes problèmes qui étaient posés en 2002 qui restent aujourd’hui encore de véritables boulets aux pieds des Ivoiriens. Si l’on veut raisonner par l’absurde, l’on pourrait dire que Soro et ses combattants ont plus rendu service à Gbagbo qu’à la Côte d’Ivoire. Grâce à eux, celui qu’ils voulaient déloger de la présidence a eu quatre ans de prolongation de son premier mandat. On pourrait même dire qu’à cause d’eux des ressortissants burkinabè, nigériens, maliens, ont été des victimes d’une affaire qui ne les concernait ni de loin ni de près. Bref, il s’est passé des choses au cours de ces sept ans de crise qu’il est utopique de croire que, comme par un coup de baguette magique, une élection présidentielle apportera tout d’un coup la catharsis.
Quel que soit le vainqueur de cette course à la présidence, il aura fort à faire et risque d’être pris en otage par les protagonistes de la crise qui ne désarmeront pas de sitôt ou marchanderont chèrement leur retrait des affaires. Il y a aussi le risque de révolte des oubliés de l’accord de Ouaga. Et si tout cela est mal managé, il faut craindre que le pays ne sombre à nouveau dans une crise profonde.
Mais si les élections peuvent contribuer à rétablir la paix et la stabilité politique en Côte d’ivoire, que tout le monde joue à fond la carte des élections. Seulement, il ne faudrait pas perdre de vue que des questions importantes demeurent en suspens et il faut y trouver des solutions. A ce sujet, l’on peut s’inquiéter de ce que le facilitateur, qui voulait voir Gbagbo traduit devant la Cour pénale internationale pour crimes contre des Burkinabè, ferme-t-il aujourd’hui les yeux sur ces questions de violations des droits humains, ne serait-ce qu’à titre de réparations. Dans cette gestion du processus de paix, il y a certainement des non-dits qui cachent certainement des intérêts divers et des agendas cachés qui sont étrangers à l’intérêt supérieur de la Côte d’Ivoire. Bref, pourvu que ça marche et que la Côte d’Ivoire retrouve sa quiétude pour le bien de ses fils et de ses habitants étrangers.

Boureima OUEDRAOGO

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