dimanche 23 août 2009

GESTION DES AFFAIRES PUBLIQUES ET LUTTE CONTRE LA CORRUPTION: Faut-il croire encore en Tertius Zongo?

Le gouvernement Tertius Zongo a commémoré en fanfare ses deux ans dans la première semaine de juin 2009. Pour faire son bilan, le 5è Premier ministre de Blaise Compaoré (en 17 ans) était sous les projecteurs. Tous les secteurs de la vie publique nationale ont été passés en revue. Conclusion : malgré quelques insuffisances, le Burkina avance et avance même très vite. Exit la misère sans cesse grandissante, la crise universitaire, le dysfonctionnement des institutions républicaines, surtout l’institution judiciaire, le front social bouillonnant, etc. Que retenir des deux ans de Tertius Zongo à la tête du gouvernement ?

4 juin 2007. Le Président du Faso met fin à tant de supputations sur le nom de son 5è premier ministre. Le Burkina venait de sortir d’élections législatives remportées par le CDP, le parti de Blaise Compaoré. Tertius Zongo, alors ambassadeur du Burkina aux USA, dépose ses valises à la Primature en remplacement de Paramanga Ernest Yonli qui a pris le chemin inverse, c’est-à-dire le poste d’ambassadeur au pays de l’oncle Sam. Dès sa nomination, il a affirmé avoir entendu et compris les attentes et aspirations des Burkinabé. Très vite, il forme son premier gouvernement (toujours pléthorique et sans grand changement au niveau de sa composition) et engage une vaste consultation des forces vives de la nation (si l’on peut s’exprimer ainsi). Ces consultations devaient l’aider, à prendre toute la mesure des attentes.
Ensuite, Tertius Zongo annonce sa différence d’avec ses prédécesseurs. Son discours est en phase avec les aspirations profondes de la majorité des Burkinabè: traquer la corruption dans tous les secteurs de la vie nationale, engager une lutte sans merci contre l’utilisation abusive des biens de l’Etat, relancer les secteurs de production en vue d’assurer la sécurité alimentaire au Burkina Faso et l’accès pour tous aux services sociaux de base. Le premier des ministres est sur tous les chantiers. On l’a vu à l’Assemblée nationale assister ses ministres à la faveur des questions orales des députés adressées au gouvernement. On l’a vu aussi présider des cérémonies (d’inauguration d’infrastructures socioéconomiques, de lancement de programmes), visiter l’université de Ouagadougou, les rédactions de certains organes de presse, etc.
Sur le terrain de la lutte contre la mal gouvernance, des contrôles inopinés de l’usage du matériel roulant de l’Etat ont été organisés. Des maires ont été révoqués avec poursuites judiciaires. De petits fonctionnaires auteurs de peccadilles ont été sanctionnés en conseil des ministres avec poursuites judiciaires. Dans l’administration, l’on a commencé à sentir bouger un peu les choses, notamment en matière de discipline et d’ostracisme dans la gestion des deniers publics, surtout en ce qui concerne les petits fonctionnaires. Bref, en quelques mois, le premier ministre a bousculé un peu les habitudes dans l’administration publique burkinabè. Dans l’opinion publique, son discours avait commencé à prendre forme.
Mais très vite, l’enthousiasme a fait place au retour du désespoir. La réalité du système va rattraper le gouvernement et son chef. Les scandales à répétition impliquant certains gros bonnets ont fini de montrer toutes les limites du gouvernement à lutter véritablement contre la gabégie, les détournements et autres enrichissements illicites. Pire, certains de ses ministres sont impliqués dans de sales affaires mais rien, absolument rien, ne les inquiète.

Légèreté vis-à-vis de la Constitution

Les exemples sont légion. En juillet 2008, une affaire de malversations éclabousse les douanes dont le Directeur général est inculpé et mis sous mandat de dépôt. Il est sauvé in extremis par une intervention du ministre de la Justice qui prétendait agir au nom de son patron. Sans remettre en cause la présomption d’innocence dont bénéficie le DG des douanes comme tout justiciable, les Burkinabè ont le droit de connaître la vérité sur cette sombre affaire qui concernerait tout de même 500 millions de FCFA. Il est même de l’intérêt du DG, si bien sûr il n’a rien à se reprocher, que cette affaire soit définitivement tirée au clair. Mais depuis cette action d’éclat que d’aucuns ont qualifié de spectaculaire, la Justice n’a vraisemblablement plus donné de suite au dossier. Est-ce réellement le DG des douanes que l’on veut protéger ou alors d’autres personnes bénéficiant de bonne protection? En tout cas, il y a trop d’interrogations restées sans réponse dans cette affaire. Mais le gouvernement Tertius Zongo ne semble pas en faire une préoccupation.
En décembre 2008, le rapport de la Cour des comptes épingle des barons du régime qui ont acquis des villas de la CNSS à crédit et qui n’ont pas respecté leurs engagements contractuels. Le Reporter dans son édition N°19 de janvier a révélé l’identité de ces «hautes personnalités». Le porte-parole du gouvernement Tertius et ministre la Culture, du tourisme et de la communication, Filippe Savadogo, en fait partie. L’ex-Premier ministre, Paramanga Ernest Yonli, aussi. Pire, ce dernier a même violé la Constitution qui, en son article 73, l’interdisait de prendre part à cette opération. Curieusement, le gouvernement par l’intermédiaire du ministre du Travail de la sécurité sociale, interpellé sur la question à l’Assemblée nationale, a pratiquement excusé l’ex-PM devenu ambassadeur. Heureusement, le député auteur de la question ne s’est pas laissé conter et a conclu net et sec: il y a eu violation de la constitution et comme il se doit, la CNSS doit reverser à l’intéressé ce qu’il a déjà payé et retirer la villa pour la remettre en vente à ceux qui y ont droit. La CNSS ne le suivra certainement pas. En tout cas, jusqu’à présent, c’est le silence tant du côté de la CNSS que du gouvernement.
Il y a aussi le représentant spécial du Président du Faso (en tant que facilitateur du dialogue direct) en Côte d’ivoire, ancien ministre de la Justice, ancien directeur général de la CNSS, Boureima Badini, qui a été épinglé. A son sujet, ouvrons juste une parenthèse pour rappeler que contrairement à ce qu’il a soutenu lors de son passage à l’émission Actu Hebdo de la télévision nationale le dimanche 24 mai dernier, nous persistons et signons qu’il était dans l’irrégularité. A moins qu’il ne conteste le rapport de la Cour des comptes. Il prétend qu’il pouvait attaquer Le Reporter en Justice. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Ça aurait pu être un très bon procès de sa gestion de la CNSS. En tout cas, nous sommes prêts.
Le Premier ministre aurait instruit le DG de la CNSS de mettre en demeure tous ceux qui lui doivent de solder leurs créances dans un délai d’un an. Il reste que dans cette affaire des villas de la CNSS, trois observations s’imposent.
La première est relative à la légèreté dont certains hauts dignitaires de la 4è République font preuve vis-à-vis de la Constitution, la loi fondamentale du Burkina, qui peut être synonyme de manque de considération pour le peuple burkinabè. En effet, non seulement l’ancien premier ministre a violé la Constitution, mais le plus inquiétant est que le gouvernement actuel à travers le ministre du Travail et de la sécurité sociale (juriste éminent puisque enseignant de droit à l’université de Ouaga) tente de lui trouver des circonstances atténuantes, voir de l’excuser. Plus grave, c’est quand le Premier ministre lui-même, dans son «tchat» avec les internautes dans l’Observateur Paalga du 24 juin dernier, met les clauses contractuelles entre la CNSS et ces personnalités au dessus de la Constitution. C’est très grave. Les règles contractuelles de ventes de villas à crédit peuvent-elles être reconnues légales et valables quand elles sont en porte-à-faux avec la Constitution? On peut comprendre que le Premier ministre soit préoccupé par le recouvrement de deniers publics, mais de là à y perdre toute considération pour la Constitution est simplement déroutant.
La deuxième observation est que dans ce pays, certaines «hautes personnalités», se croient tout permis et ne reculent devant rien pour leur intérêt personnel. Ils n’ont ni le sens de l’honneur et de la parole donnée ni la décence morale de se taire même quand ils ont tort. A entendre certains s’exprimer avec arrogance, l’on finit par se convaincre qu’ils ne croient en rien sauf à leurs intérêts égoïstes.
La troisième, c’est le flou artistiquement maintenu sur «qui est à jour et qui ne l’est pas». Or, il s’agit de l’argent qui n’appartient ni au gouvernement ni à la direction de la CNSS mais plutôt aux travailleurs qui cotisent pour leurs retraites. Il y a donc un devoir de transparence vis-à-vis des assurés de la CNSS d’autant plus que ces dernières années, les scandales se multiplient sur la gestion de cette institution. Il ne sert à rien de mettre la pression sur la direction actuelle qui, assurément, a hérité d’une gestion peu orthodoxe. Mais au Burkina, on préfère le discours qui, loin de rassurer, donne l’impression que l’on se reproche et cache des choses.
En mars 2009, Le Reporter s’est fait l’écho de gestion douteuse à la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Le gouvernement aurait commandité une inspection. Mais rien n’a filtré.
Mai 2009. Une affaire de gestion douteuse de plus de 300 parcelles à usage autre que d’habitation, impliquant des membres du gouvernement a été mise sur la place publique par Le Reporter. Silence Radio du côté du gouvernement.
Juin 2009. Un autre scandale impliquant un chef rebelle ivoirien qui a réussi à ouvrir, malgré le gel des avoirs des ex-seigneurs de guerre décidé par l’ONU, un compte au Burkina grâce à des faux documents d’identité burkinabè et y retirer la rondelette somme de 66 millions de FCFA. Du côté du ministère des Affaires étrangères où le dossier devrait être géré selon une requête du Conseil de sécurité de l’ONU, c’est motus et bouche cousue.
Depuis quelques années maintenant des accusations de mauvaise gestion, voire des détournements sont signalés au Plan décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB). Vrai ou faux ? Affaire à suivre.

La rhétorique à l’épreuve des réalités

Bref, la liste est longue. La réaction du gouvernement se fait attendre. Pire, dans l’opinion, de lourds soupçons de corruption pèsent sur de hautes personnalités qui, subitement, sont devenus très riches en quelques années alors qu’ils n’ont hérité de personne ni gagné au loto (en tout cas pas officiellement). Dans cette savane du Burkina, on se connaît tous. Comme le dit un artiste de chez nous, «on les as vus ici». Le comble, c’est que ces nouveaux riches ne s’en cachent pas.
En vérité, la réalité du terrain a rattrapé la rhétorique. Au fil du temps, Tertius Zongo se fait de moins en moins prolixe. Quand il décide de parler, l’on se rend vite compte qu’il s’est forgé maintenant une extraordinaire tactique d’esquive des questions de fond, laissant ses interlocuteurs sur leur faim. Tout a commencé en février 2008, avec les émeutes de la faim. Le Premier ministre est resté loin des micros, laissant le soin à ses ministres de se débattre face une opinion publique qui doutait réellement de la capacité des gouvernants à faire face à la crise alimentaire et à la vie chère. Et depuis, tous les observateurs avertis ont compris qu’il s’est rendu à l’évidence que le problème de fond, c’est moins l’absence de volonté de ses prédécesseurs, mais bien plus, la faillite d’un système politique sclérosé par 22 ans de pouvoir et qui se maintient par tous les moyens. Depuis, le discours a perdu de sa vigueur. Tertius Zongo n’a plus réponse à tout, du moins, il esquive les vraies questions. Son «tchat» chez le doyen des quotidiens burkinabè illustre fort à propos que le 5è Premier ministre de Blaise Compaoré a fini par s’inscrire dans la logique de son prédécesseur. Parler et parler encore, sans apporter des réponses concrètes aux préoccupations des Burkinabè. Il a fait ce qu’il pouvait. Mais dans le contexte actuel du Burkina Faso, un Premier ministre peut peu de chose en termes de changements profonds dans la gestion des affaires publiques. Ce dont il est question aujourd’hui, c’est la crise de la gouvernance, de l’Etat et de ses institutions, des valeurs. On ne peut pas lutter contre la corruption sans une Justice véritablement indépendante et forte, sans un minimum d’éthique au plus haut niveau de l’Etat. Ce qui est en cause, ce sont les modes de régulation et les valeurs autour desquels l’Etat burkinabè organise la répartition des ressources publiques, assure l’arbitrage entre différents intérêts individuels ou de groupes et l’intérêt général.
On peut continuer à créer des structures et les doter de moyens financiers colossaux. Mais le fond demeure la capacité de l’Etat à assurer un fonctionnement efficace des institutions républicaines. L’on se souvient que dans l’affaire Norbert Zongo, des moyens ont été mis à la disposition du juge d’instruction. Mais la suite, on la connaît. Après 7 ans, il a réussi à inculper un seul suspect qui, finalement, a bénéficié d’un non-lieu. Et presque 11 ans après, les assassins de Norbert Zongo courent toujours.
Même quand certaines institutions comme la Cour des comptes font des efforts salutaires, il reste que l’inaction du gouvernement suite à leurs interpellations, sonne comme une prime à l’impunité. Comment alors assainir la gestion de notre bien commun à tous (l’Etat) dans ces conditions? Comment assainir la gestion publique quand de hautes personnalités ne se gênent pas de mentir publiquement pour protéger les intérêts d’on ne sait quel prince?

Le péché originel

Sans dénier la présomption de bonne foi et de bonne volonté au Premier ministre, l’on ne peut cependant, s’empêcher de craindre qu’il ne fasse pas mieux que celui qui l’a fait prince. En effet, en octobre 1987, lorsqu’il prenait le pouvoir, Blaise Compaoré affirmait avoir entendu le cri de détresse du peuple face au «pouvoir personnel et oppresseur» de Thomas Sankara. Lui, «le patriote», a débarrassé son peuple de son «ami et frère» devenu «renégat», ou du moins des soldats qui lui sont fidèles l’ont fait pour lui. Mieux, il n’avait pas l’ambition de s’accrocher au pouvoir mais 22 ans après, il y est toujours. En mai 1999, il a affirmé avoir compris la soif de justice du peuple qui revendiquait toute la lumière sur l’assassinat de Norbert Zongo. 7 ans après, c’est un non-lieu au bénéfice du seul inculpé de cette affaire qui a été servi au peuple. C’est cela comprendre les attentes et les aspirations du peuple au Burkina Faso depuis le 15 octobre 1987. Comme dirait l’autre, le péché originel du pouvoir en place, ce sont les conditions de son avènement, la culture politique (d’intolérance, de non respect des engagements pris et de la parole donnée) dans laquelle il s’est installé et se maintient.
Les limites objectives auxquelles Tertius Zongo est confronté, quand bien même il serait animé d’une volonté de redonner à l’action publique toute son efficacité et son utilité sociale, relèvent moins des comportements et des dérives des agents publics, que des fondements mêmes du maintien du système en place. L’on peut donc comprendre le Premier ministre. Ce n’est certainement pas qu’il manque de volonté. Mais ce n’est pas suffisant. Il ne faut pas perdre de vue que lui-même, est avant tout un produit de ce système. Et ses propos par rapport à l’alternance aux cours de ses jamborées médiatiques à la faveur de ses 2 ans à la primature, confirment qu’il n’a pas bien compris les attentes et aspirations des Burkinabé ou tout au moins, qu’il n’a pas les moyens politiques d’y répondre. Il est finalement comme tous les autres au service du Maître. Seul le discours a sensiblement évolué. Les changements majeurs suscités par ce discours restent encore un vœu pieux.
De bonnes choses ont été faites en deux ans. Tertius Zongo en bon croyant pourrait se consoler comme Mère Théresa en se disant que «Je sais que ce que je fais n’est qu’une goutte d’eau dans la mer, mais si je ne fais pas ce que je fais, il va manquer une goutte d’eau dans la mer». Mais quand on est citoyen soucieux du devenir de son pays et de son propre avenir, l’on ne peut se satisfaire de goute d’eau dans la mer. On est plus exigent vis-à-vis de ses gouvernants.
Comme l’a dit Zéphirin Diabré, les Burkinabè «qui travaillent à la sueur de leur front et à la force de leurs poignets sont révoltés de voir que d’autres, nullement plus méritants, mais simplement assis à la bonne place, ou titulaires des bonnes relations et des bonnes protections, prennent comme un ascenseur spécial à grande vitesse vers l’enrichissement. Ils sont choqués de voir combien l’Etat, notre bien commun à tous, est devenu un instrument d’enrichissement aux mains de gens promus uniquement sur la base de relations de concussion, et dont l’énergie se dépense plus dans les surfacturations de marchés que dans la conduite laborieuse de nos chantiers de développement».
Si Tertius Zongo avait compris les attentes et les aspirations des Burkinabè, il aurait su que si les enseignants d’université, les autres organisations syndicales et d’autres citoyens revendiquent de meilleures conditions de vie, c’est en partie au regard des constats de cette gestion d’austérité à double vitesse. On ne peut pas demander à certains de serrer davantage la ceinture en permettant à d’autres de continuer de se servir royalement. S’il y a des ressources pour permettre aux «hautes personnalités» de vivre en pacha, il devrait en avoir pour tout le monde, d’autant que ces dernières ne sont nullement plus méritantes. Quand les uns mangent et les autres regardent, les révoltes, voire les révolutions, sont inévitables. Et les «réformettes», les discours et les professions de foi n’y changeront rien. Les Burkinabè aussi s’émancipent progressivement des luttes des autres peuples.

Boureima OUEDRAOGO

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