Dans notre première édition de l’année 2009, nous nous sommes fait l’écho des non-dits du dernier rapport de la Cour des comptes, remis officiellement au président du Faso le 29 décembre. Ces révélations ont suscité, tant dans l’opinion, au niveau des protagonistes que dans la presse, un véritable tollé. Malheureusement, après la parution de l’article, il y a eu des tentatives de manipulation de l’information qui nous obligent à revenir sur cette affaire de prêts immobiliers (ou de ventes de villas à crédits) accordés par la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale) à certaines personnalités. C’est moins les efforts de personnalités incriminées qui cherchent à sauver leur tête et leur honorabilité écornée, que l’indifférence des plus hautes autorités qui nous interpelle.
D’entrée de jeu, il convient de saluer les efforts de la Cour des comptes dont les rapports suscitent de plus en plus des débats fort intéressants sur la gestion des affaires publiques. Dans un pays marqué par une crise de confiance entre les institutions et la société, la Cour des comptes, malgré certaines critiques, reste une étoile scintillante qui éclaire les autorités et l’opinion sur des pratiques peu orthodoxes de certains commis de l’Etat. C’est tout à son honneur !
Ensuite et dans la même lancée, l’on ne peut que s’inquiéter du silence, de l’indifférence à la limite du mépris des plus hautes autorités par rapport aux efforts abattus par l’équipe de Boureima Pierre Nébié, le Premier Président de la Cour des comptes. En effet, il est étonnant que dans un Etat qui se veut de droit, des cas de mauvaises gestions aussi graves les uns que les autres soient révélés aux autorités et que celles-ci affichent un silence coupable, du moins complice (Voir l’article sur les non-dits du rapport de la Cour des comptes dans Le reporter N°19 de janvier 2009). Les interpellations de l’institution supérieure de contrôle de la gestion des deniers publics au gouvernement sont restées lettres mortes. Les ministères (de l’Administration territoriale et de la décentralisation, de l’Economie et des finances, de l’Education de base et de l’alphabétisation, de la Santé, de l’Agriculture, etc.) et d’autres institutions publiques (Le médiateur du Faso) ont été interpellés. Mais dans la plupart des cas, c’est le silence ou le ‘black out’ total. Pourquoi le président du Faso et son gouvernement ne donnent-ils pas systématiquement suite aux rapports de la Cour des comptes ? Est-ce l’expression d’un manque notoire de volonté politique de traquer les mauvais gestionnaires des deniers publics ? Est-ce ainsi que l’on bâtit une «société d’espérance» ? Que cherchent finalement nos gouvernants à travers les rapports de la Cour des comptes qui leur sont transmis ? Bref, l’attitude des autorités est pour le moins troublante, surtout dans un pays où pour la grande majorité des familles, assurer un repas journalier (au lieu de trois) relève d’un parcours du combattant. Pire encore, nos députés (même de l’opposition), payés pour représenter le peuple sont eux aussi aphones sur ces terribles révélations. Dans ce pays de la «misère et de la poussière», on réhabilite un vieux bâtiment à plus d’un milliard, des dizaines de millions disparaissent des caisses, des gens s’achètent des costumes, des cravates, des chaussures avec l’argent du contribuable et se promènent allègrement en nous faisant l’insulte qu’ils sont les champions de la morale et de la vertu. Pendant ce temps, on ne cesse de nous distiller des slogans selon lesquels « être burkinabè, ça se mérite ». Non, être burkinabè, c’est un droit inaliénable pour tous ceux qui sont nés de parents burkinabè. Ceci est valable, autant pour le pauvre que pour le riche, le haut-cadre, le chômeur, le Président du Faso, le paysan. C’est plutôt être gouvernant digne, crédible et légitime qui se mérite. Il faut sortir des slogans politico-publicitaires, des professions de foi sans lendemain pour apporter, à défaut de l’espérance, juste un peu d’espoir à cette majorité de citoyens qui vivent dans l’angoisse de lendemains douloureux. Il faut espérer les engagements du premier ministre Tertius Zongo à donner des suites méritées au rapport de la Cour des comptes ne soient finalement que du bluff.
Il ne croyait pas si bien dire, l’autre, quand il affirmait avec fracas que la morale agonise au Faso. Ce qui s’est passé à la CNSS est assez illustrative de cette agonie morale. Paramanga Ernest Yonli, alors Premier ministre, pendant que le pays réel battait le macadam de Ouagadougou et du Burkina profond pour revendiquer vérité et justice sur les crimes économiques et de sang, a bénéficié d’une vente complaisante à crédit d’une villa d’une valeur de 110 millions. Sur quelle base ? Seuls lui et la CNSS peuvent nous le dire. Un Premier ministre du Burkina Faso peut-il avoir un prêt de cette valeur pour 5 ans? En général, la quotité cessible dans les institutions financières correspond au tiers du salaire. Or, selon les termes du contrat entre lui et la CNSS, il devrait verser chaque trimestre la somme 2 750 000 FCFA soit environ 917 000 FCFA par mois. Pour avoir une quotité cessible de 917 000 FCFA, il faut donc avoir un revenu mensuel d’environ 2 750 000 F CFA.
Un autre couac important dans cette affaire est cette avance obligatoire de 55 millions de FCFA conformément à l’article 4 du contrat de vente. Notre premier ministre Yonli, était-il un multimillionnaire au point de pouvoir débloquer 55 millions de FCFA pour honorer son engagement ? A-t-il délibérément choisi de signer un contrat dont il savait pertinemment qu’il ne pouvait pas respecter les termes ? Toujours est-il qu’il ne s’est pas acquitté de cette obligation jusqu’au passage de la Cour des comptes en 2006, soit 7 ans après. Au terme de la date butoir, il n’a pu verser que 20 millions de FCFA. On comprend pourquoi les ministres ne donnaient pas suite aux interpellations de la Cour des comptes. Si le Premier ministre lui-même est assis sur ses engagements contractuels avec la CNSS, il va de soi qu’il ne peut pas en imposer à ses ministres. Blaise Compaoré savait-il que son premier ministre traînait de telles casseroles et il l’a conservé autant d’années à la primature ? Que la réponse soit négative ou affirmative, c’est très grave, d’autant plus que lui-même n’a pas rendu compte du financement public de sa campagne électorale de 2005. Mais nous osons espérer qu’il ne le savait pas, tout comme il ne s’est pas préoccupé que son staff ait rendu compte de la gestion du financement de sa campagne par l’argent du contribuable. A sa décharge, dans ce cas, ce sont ses conseillers qui n’auraient pas fait leur boulot. Même là, on devrait s’inquiéter de ce que notre Président soit entouré de gens qui ne font pas leur boulot.
Yonli a-t-il violé la constitution?
Par ailleurs, n’y a-t-il pas eu une violation de la constitution dans cette affaire par le Premier ministre Yonli ? L’article 72 de la constitution du Burkina Faso stipule que «les membres du gouvernement ne doivent s’exposer à aucune situation susceptible de créer des conflits entre le devoir de leurs fonctions et leurs intérêts privés». Et l’article 73, alinéa 1, dit que « pendant la durée de leurs fonctions, les membres du gouvernement ne peuvent directement ou indirectement acheter ou prendre à bail tout ce qui appartient au domaine de l’Etat. La loi prévoit les cas où il peut être dérogé à cette disposition». L’alinéa 2 de cette disposition constitutionnelle précise: «Ils (les membres du gouvernement, NDLR) ne peuvent prendre part aux marchés et adjudications passées par l’administration ou par les institutions relevant de l’Etat ou soumises à son contrôle». L’achat à crédit de villas de la CNSS fait-il partie des cas ou la loi a-t-elle a prévu une dérogation ? Avis aux spécialistes du droit! Là encore, l’on ne peut s’empêcher de faire le triste constat qu’en haut lieu la loi fondamentale du Burkina Faso est si souvent foulée au pied, selon les intérêts en jeu.
Comment la CNSS a-t-elle pu s’engager avec un client pas forcément solvable, fût-il Premier ministre, d’autant plus qu’il s’agissait de vendre des immeubles pour permettre à l’institution de recouvrer ses fonds investis dans le cadre du sommet France Afrique de 1996 ? Boureima Badini, l’ex DG de l’institution, avec l’accord du conseil d’administration, a lui-même signé le 2 juin 1999, un contrat qui lui permettait de devenir propriétaire d’une villa de plus de 52 millions de FCFA. Un DG de la CNSS peut-il s’offrir sur la base de ses revenus légaux une telle villa, même pour 10 ans ? En tous les cas, le rapport de la cour des comptes est clair. Il y est écrit noir sur blanc à la page 197 qu’à la date du 30 /12/ 2004, les montants échus (c’est-à-dire ce qu’il devrait avoir versé) « s’élèvent à la somme de 26 457 700 F ». Lui aussi a été propulsé ministre de la Justice, garde des sceaux, plus tard avant d’être nommé Représentant du facilitateur du dialogue direct inter-ivoirien !
Ensuite, il y a l’ex-ambassadeur du Burkina à Paris en France. Lui également a acquis à crédit une villa CNSS d’une valeur de plus 52 millions de FCFA. Un ambassadeur du Burkina en France est-il si bien payé pour se permettre un tel engagement? En tous cas, il n’a pas pu l’honorer. Mais, il quittera son poste d’ambassadeur pour être ‘bombardé’ ministre de la Culture, du tourisme et de la communication, porte parole du Gouvernement actuel. Ainsi va le Faso du progrès et de la paix avec Blaise Compaoré. Naturellement, ceux qui ont bénéficié indument de ces avantages colossaux ne peuvent que jurer que le Burkina Faso progresse. Est-ce pour cela que quand «Flipe le Parigot» (pour emprunter les termes de notre confrère JJ) parle du Burkina, l’on a souvent du mal à croire qu’il parle de ce même pays ?
En fin de compte, cette affaire CNSS, au-delà de la question de savoir qui est à jour ou non au moment où Le Reporter publiait l’article sur les non-dits du rapport de la Cour des comptes, pose la question fondamentale de la qualité de certaines personnalités promues à de hautes fonctions de l’Etat. C’est dommage que cela ne semble pas poser de problèmes à certains confrères, motivés par on ne sait quelle raison et plus préoccupés à rétablir, coûte que coûte, vaille que vaille, l’image de «hauts dignitaires» que de «petits journalistes impertinents» d’un «canard fouineur» ont osé écorner. Mais enfin, n’est-ce pas le signe que la presse burkinabè est réellement libre et plurielle?
Dans les démocraties vraies, de telles personnalités ne peuvent nullement accéder à de hautes fonctions. Pour moins que ça, Obama le nouveau Président des Etats-Unis a du renoncer à l’un de ses chevaliers du changement. Comme quoi, malgré tout ce que l’on peut reprocher aux yankees, ils restent attachés à des valeurs morales inaliénables. C’est peut-être là le secret de leur puissance.
Par Boureima OUEDRAOGO
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